LE QUOTIDIEN - Vous êtes le président de la mission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le Mediator. Dans quel état d’esprit avez-vous abordé cette fonction ?
GÉRARD BAPT - Cette mission a pour objet de faire des propositions pour améliorer le système et essayer de sortir des dysfonctionnements qui ont été révélés de manière particulièrement dramatique par cette affaire du Mediator. Les responsables politiques avaient pensé qu’après le drame du sang contaminé, le fait de mettre en place un système de sécurité sanitaire avec des agences leur permettrait de dormir sur leurs deux oreilles. Non seulement ça n’a pas été le cas, mais un certain nombre d’alertes qui avaient été lancées n’ont pas été entendues, et en tout cas ne sont pas arrivées jusqu’au pouvoir politique. Nous essayerons de formuler des propositions les plus fortes possibles à un ministre de la Santé qui, à l’heure actuelle, est particulièrement réceptif, et ça, c’est nouveau de sa part, notamment par rapport à un passé récent. C’est donc de manière très sérieuse et appliquée que nous avons abordé cette mission. Nous le devons aux victimes, et c’est aussi notre rôle de législateur puisqu’une large partie de ces réformes sera d’ordre législatif.
Une autre mission parlementaire est pilotée par le Sénat. Comment vont-elles s’articuler ?
Le problème est que ça ne s’articule pas beaucoup. D’ailleurs, ça s’articule rarement entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous essayons néanmoins, avec François Autain et Marie-Thérèse Hermange (président et rapporteur de la mission sénatoriale), de voir ce que font les autres, de nous appuyer sur des auditions qui ont lieu antérieurement pour prolonger le débat et le questionnement sur des interlocuteurs qui parfois sont identiques. Bien entendu, si les propositions faites in fine sont convergentes, cela aura encore plus de force.
Il y a aussi la mission confiée par Nicolas Sarkozy aux professeurs Even et Debré, et les Assises du médicament lancées par Xavier Bertrand. N’avez-vous pas peur d’une cacophonie des conclusions ?
Et il y aura aussi la seconde mission de l’IGAS sur les systèmes de sécurité sanitaire ! Tout ça donne effectivement un sentiment de bouillonnement. Mais le trouble qui s’est emparé de l’opinion publique sur le sujet de la sécurité sanitaire et la qualité des médicaments fait que plus il y aura d’acteurs concernés, mieux ce sera.
À la suite des études mettant en évidence l’imputabilité du Mediator notamment dans les valvulopathies, des voix se sont élevées pour en relativiser les conclusions. Vous êtes-vous fait une religion sur ce sujet ?
Ce n’est pas notre rôle de faire le tri entre les épidémiologistes. Les études cas-témoins s’imposent par elles-mêmes, et en ce qui concerne les évaluations épidémiologiques en termes de morbidité-mortalité, ce n’est pas notre rôle. Et à la limite, si c’était non pas 500 mais 250, si c’était non pas 2 000 mais 3 000, qu’est-ce que ça changerait au problème ? Le problème c’est qu’il y a aujourd’hui beaucoup trop de personnes dans notre pays qui sont porteuses de pathologies, ou de familles qui suspectent que le décès d’un de leurs proches est à mettre en rapport avec ce médicament. Notre rôle, c’est de comprendre comment ça a pu durer si longtemps, comment les alertes ont pu ne pas être entendues, comment ça a pu tellement dysfonctionner au sein de l’AFSSAPS, comment deux agences (AFSSAPS et Haute Autorité de Santé) dont les missions sont différentes mais complémentaires ont pu ne pas communiquer, et comment il se fait que les informations ne sont jamais remontées au niveau du directeur de la Santé et du cabinet du ministre.
Que suggérez-vous pour améliorer le pharmacovigilance ?
Il faudra essayer de mettre en place un système qui couvre les effets indésirables du médicament, les problèmes d’iatrogénie, la façon dont les prescriptions sont faites, la prise en compte des interactions médicamenteuses, la pharmacovigilance. Une étude vient de paraître aux USA montrant que sur les 10 dernières années, le nombre d’effets indésirables graves et de décès avait été multiplié par 2,5 à 3, sans que l’augmentation de la population soit en rapport. Il existe aujourd’hui un réel problème en matière d’iatrogénie qui s’ajoute à la question des effets indésirables. Tout ça nous conduit à la question de la formation et de l’information, et à la façon dont la presse médicale, c’est une critique que je lui fais, néglige les effets indésirables et la pharmacovigilance. Mais cette discipline est négligée de façon générale, y compris au sein de l’AFSSAPS. Peut-être pourrait-on demander à la presse médicale de réserver des espaces à des avis officiels de l’AFSSAPS ou de la HAS, ou d’organismes de formation médicale continue, pour intervenir sur ces domaines, dont je comprends qu’ils ne soient pas de prédilection pour les laboratoires ! Nous allons bientôt auditionner des responsables de la presse médicale, qu’elle soit publicitaire ou indépendante. Nous ferons des propositions.
Dans cette affaire, vous êtes-vous déjà forgé une intime conviction ?
Mon intime conviction, c’est la carence effroyable de l’AFSSAPS, sa lourdeur, sa lenteur, son absence de réactivité. Je m’interroge aussi sur le fait que, alors que des Français étaient à la fois à l’AFSSAPS et à l’Agence européenne du médicament, il n’y ait pas eu coordination. C’est loin du cliché selon lequel nous aurions le meilleur système de pharmacovigilance au monde ! Ma seconde conviction, partagée par le ministre, est qu’il faut traiter de manière beaucoup plus rigoureuse les conflits d’intérêts et la transparence. Ma troisième conviction, c’est que dans cette affaire, on se trouve face à un laboratoire particulier. On sait que les laboratoires sont des industries qui doivent faire du profit, équilibrer leurs comptes et rémunérer leurs actionnaires. Mais on nous dit de tous côtés que les méthodes de Servier sont tout à fait particulières. D’ailleurs, en suspendant la participation de ce laboratoire à ses travaux, le LEEM l’a en quelque sorte acté.
Avez-vous une idée de la réforme qu’il faudrait mettre en œuvre ?
Pour le fonctionnement de l’agence (AFSSAPS), il faut plus de rigueur, plus de transparence, plus de réactivité à l’alerte. Dans les commissions d’experts, il est logique, que les experts mandatés par les firmes présentent leurs produits, mais il ne faut pas que ceux qui décident soient liés par ailleurs aux firmes concernées, qu’il s’agisse de liens directs ou de liens indirects, notamment familiaux. Il faut introduire le contrôle de représentants de patients ainsi que de personnalités qualifiées qui puissent être des vigiles en déontologie, en respect de l’éthique, et en protection des lanceurs d’alerte. Les lanceurs d’alerte sont souvent discriminés ou isolés. Il existe dans certains pays comme la Nouvelle-Zélande des systèmes qui permettent à ces lanceurs d’alerte de s’adresser à une autorité qui intervient lorsqu’il y a mise à l’écart ou répression. Il y a aussi des députés très impliqués dans les problématiques de santé : il faudrait qu’ils soient aussi représentés au sein des agences. Ils sont aussi des lanceurs d’alerte ! Les rapports parlementaires de ces dernières années l’attestent. Il n’est pas normal que dans les conseils d’administration des agences, il n’y ait pas de représentant du Parlement alors que c’est lui qui vote, non seulement la création de la structure, mais également les budgets, les lois de financement de la Sécurité sociale et les règles de santé publique.
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