Quand un étranger prend l’avion pour recevoir des soins, qu’il soit très riche ou qu’il voyage aux frais de son pays, c’est rarement en France qu’il atterrit. D’autres pays lui déroulent le tapis rouge. L’Allemagne engrange ainsi un milliard d’euros par an. L’Asie, davantage. Distancés, les hôpitaux français jouent la prudence, à l’exception de l’AP-HP qui s’apprête à faire passer à la caisse les patients étrangers.
L’ANECDOTE illustre l’absence de « filières médicales VIP » officielles en France. Ce chirurgien francilien reçoit un appel intrigant sur son portable en début d’année. En ligne, l’hôpital royal de Riad lui annonce qu’un émir débarque trois jours à Paris. Sa femme vient de se fracturer le bassin. L’opération peut attendre, mais on ne sait jamais. « Je veux que ce soit vous, personnellement, qui la suiviez ».
Riad promet de l’argent, beaucoup. Le chirurgien accepte, garde son portable vissé à l’oreille. Personne ne le rappellera (et il ne touchera rien). Pourquoi lui ? « J’ai été repéré par le bouche-à-oreille », pense le praticien, qui n’opère ni à l’AP-HP, ni dans les beaux quartiers, mais en grande banlieue. Sa notoriété personnelle aura fait la différence.
Contrats juteux.
Des filières « VIP » structurées, avec tapis rouge et services annexes, certains pays s’en sont fait la spécialité. À la pointe, les hôpitaux allemands enchaînent les signatures de juteux contrats - dernier en date avec le Koweït, en février. Le centre hospitalier Princesse Grace, à Monaco, prend le train en marche. « L’administration s’est aperçue qu’elle ne tirait aucun profit des soins dispensés aux riches étrangers de passage, confie ce chirurgien monégasque. Une filière structurée payante est à l’étude. Des pourparlers sont en cours avec une mutuelle russe. Les premières opérations sont programmées en avril ». La reconstruction de l’hôpital, prévue en 2025, intégrera des chambres VIP.
Les tarifs, très variables, sont un argument de vente. Il ne faut être ni trop cher, ni pas assez. Sur les bords du lac Léman, la société « SAM Medical International » a fait du tourisme médical son fonds de commerce. Elle vend les hôpitaux suisses, et demande une provision pour les éventuelles complications. Ses forfaits ? À la carte, et sans limites : interprète, voiture avec chauffeur, nounou, shopping, tourisme, secrétaire... Catherine Fritsch, la fondatrice, a d’abord voulu lancer son affaire en France. Sans succès. « Toutes les portes se sont fermées, raconte-t-elle. La France a raté un coche ». Pendant des années, Catherine Fritsch a couru les salons internationaux pour représenter la médecine française. Seule. « On ne me prenait pas au sérieux ». De guerre lasse, elle s’est expatriée. L’été dernier, elle a écrit à Marisol Touraine et Arnaud Montebourg. « La médecine française a une excellente réputation mais ce n’est pas le cas des services attenants, diagnostiquait-elle. Si des patients doivent être reçus dans nos hôpitaux, il faut que le service soit à la hauteur de leurs dépenses ». Elle n’a pas eu de réponse.
L’Institut Gustave Roussy, un cas d’école
En France, l’Institut Gustave Roussy mène la course en tête et surfacture les soins aux étrangers depuis 2008. Ils sont un millier par an, du Golfe surtout, à y venir pour un second avis, un check-up, une hospitalisation. Douze millions d’euros sont ainsi rentrés dans les caisses de l’IGR l’an passé. Pour établir sa grille tarifaire, le centre a scruté les prix de l’Angleterre, de l’Allemagne et... de l’AP-HP. « À 185 000 euros l’allogreffe de moelle, nous sommes plus compétitifs que Saint-Louis », illustre Charles Guépratte. L’IGR n’a pas le choix, ajoute le directeur général adjoint : « La campagne tarifaire 2013 est une catastrophe. Nous sommes obligés de trouver des marges de manœuvre pour nos médecins ».
À Gustave Roussy, point de quartier VIP ni de médecine pour émir. Même délai d’attente, même chambre, même traitement, même personnel : seul le prix diffère. Et bientôt peut-être aussi les plateaux-repas. « Les Koweitis demandent un service traiteur pour améliorer les menus. On y réfléchit, c’est la seule entorse envisagée », expose Charles Guépratte.
L’AP-HM et les HCL en mode attentiste
Le cas de l’IGR est singulier. Ailleurs en France, des réseaux ponctuels existent, interpersonnels. Rien de structuré à l’échelle d’un hôpital. Surtout, aucun établissement n’a mis en place une surfacturation à l’image de l’IGR. Certains CHU attendent que l’AP-HP essuie les plâtres.
Ainsi les Hôpitaux de Marseille ont-ils suspendu leur projet de pôle santé Méditerranée, préférant se concentrer, dans l’immédiat, sur l’ouverture de nouveaux bâtiments. La question reviendra sur la table : « C’est inévitable au vu de nos contraintes budgétaires », estime Bastien Ripert, le chef de cabinet du directeur général, qui reçoit régulièrement des mails de Roumains ou de Bulgares. À ce stade, le président de la CME de l’AP-HM est réservé : « La France ne peut pas tenir deux discours : promouvoir l’égalité d’accès aux soins d’un côté, et de l’autre proposer un accueil de luxe pour les Russes », note le Pr Guy Moulin.
À Lyon, les étrangers représentent 0,4% de la patientèle. Hors AME, ils rapportent 7,3 millions d’euros par an aux Hospices civils (budget annuel : 1,5 milliard d’euros). Une goutte d’eau. Les HCL, pour doper leurs recettes, préfèrent miser sur l’ambulatoire et le partage d’équipements avec les libéraux. L’office de tourisme a vanté le savoir-faire médical lyonnais aux Émirats, mais le sujet n’est pas mûr. La structuration d’une filière étrangère payante, sans être écartée, n’est pas affichée comme une priorité.
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