LA DÉPUTÉE PS Sandrine Mazetier dénonce un « scandale », une « disposition qui va envoyer à la mort un certain nombre de malades ». Les associations appellent à la « désobéissance civile » et affirment être « prêtes à tout pour empêcher l’expulsion d’étrangers gravement malades ». Comme elles le craignaient, les sénateurs et députés, réunis en commission mixte paritaire (CMP), ont adopté par huit voix contre six l’article 17 ter modifié du projet de loi sur l’immigration qui restreint le droit au séjour pour soins des étrangers malades. Ce dernier ne pourra être accordé qu’en cas « d’absence » du traitement approprié dans le pays d’origine. Seul garde-fou, le dispositif prévoit que l’autorité administrative pourra prendre en compte des « circonstances humanitaires exceptionnelles » pour l’attribution du titre de séjour, après avoir recueilli l’avis du directeur général de l’agence régionale de santé.
Fier d’aller en prison.
Bruno Spire, président d’AIDES, assure ressentir une « très grande colère et une profonde tristesse ». Ce gouvernement « est totalement sourd », souligne-t-il. Il accuse par ailleurs les autorités « d’obscurantisme » : « Ils font preuve d’un total mépris de ceux qui passent leur temps à essayer de produire des connaissances ». Comme tous ceux qui se sont impliqués dans la lutte contre la restriction au droit de séjour pour soins, il affirme vouloir poursuivre le combat : « Je serais fier d’aller en prison pour cela », confie-t-il au « Quotidien ».
Le Conseil national du sida (CNS), qui avait déjà estimé que la mesure entraînerait « des risques sérieux pour la santé publique », déplore aujourd’hui que « des arguments fondés sur des opinions préconçues, des approximations et des contre-vérités manifestes aient finalement emporté la décision du législateur, au mépris des réalités sanitaires objectives et des principes d’analyse rationnelle censés guider l’élaboration des politiques publiques et servir l’intérêt de la collectivité ». Selon le CNS, la version finalement adoptée « durcit encore les restrictions envisagées et vide de tout contenu un dispositif jusque-là bien encadré et répondant correctement à des besoins objectifs ». Et la « clause humanitaire vague » évoquée ne fait « qu’ajouter de l’arbitraire en lieu et place de critères antérieurs d’attribution précisément définis ».
Comme le CNS, un collectif de médecins engagés dans des associations, des sociétés savantes ou des syndicats (SMG et MG France) avaient tenté d’infléchir le cours des choses, en s’adressant au Premier ministre. Après avoir d’abord essuyé un refus, il a finalement été reçu par son cabinet à la fin de la semaine dernière. « Nous lui avons fait valoir combien le dispositif actuel, clair et encadré, répondait à des objectifs fondamentaux de santé individuelle et de Santé publique. Nous lui avons indiqué en quoi cette réforme était injustifiée compte tenu de la stabilité et de la faiblesse du nombre de cartes de séjour délivrées dans ce cadre (28 000) et de l’absence avérée de migration thérapeutique. Nous lui avons montré en quoi la réforme envisagée était dangereuse : péril de la santé et de la vie des personnes concernées, menace pour la santé publique, atteinte au secret médical, entrave au contrôle effectif du juge, et augmentation des dépenses publiques », avaient-ils indiqué après leur entrevue à Matignon.
Leur démarche aura été vaine. « C’est une catastrophe », déclare au « Quotidien » le Dr Pierre Lombrail, président depuis mars 2011 de la Société française de santé publique (SFSP). Le spécialiste nantais de santé publique regrette « cette décision qui va à l’encontre des principes déontologiques auxquels en tant que médecin je ne saurais déroger et qui du point de vue de la santé publique, n’a pas de sens ». Selon lui, un recours devant la Cour européenne de justice pourrait être envisagé. « Que la maladie ne soit pas une protection contre l’éloignement, je pense que cela relève d’une atteinte caractérisée aux droits de l’homme », souligne-t-il.
Un énorme recul.
Le Dr Jean-Pierre Geearet, membre du COMEGAS (Collectif des médecins généralistes pour l’accès aux soins) et qui assure une consultation précarité à l’hôpital Avicenne, est lui aussi scandalisé. « C’est humainement scandaleux. Ces patients resteront en France mais de façon encore plus précaire. La loi les rejette dans la clandestinité. C’est un énorme recul », estime-t-il. La situation lui semble d’autant plus regrettable que les conséquences des restrictions d’accès à l’aide médicale sont déjà lourdes : « Beaucoup ne peuvent pas payer les 30 euros qui leur sont demandés. Les consultations précarité reçoivent de plus en plus de patients, que ce soient les PASS ou les consultations des associations humanitaires », explique-t-il.
Le Dr Victoire de Lastours, du service de maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Louis (Paris), dénonce aussi la précarité et la clandestinité dans lesquels vont être rejetés les patients : « La majorité de ceux qui ne pourront pas avoir de papiers restera en France et nous, nous continuerons à les soigner », explique-t-elle. Elle est l’un des organisateurs de l’appel à « l’accessibilité effective », qui a recueilli 1 400 signatures de médecins. Un tel dispositif risque « de faire basculer les coûts des traitements, non pas vers la sécurité sociale, mais vers l’aide médicale d’État », affirme-t-elle. Pour ceux qui « repartiront chez eux ou qui seront renvoyés manu militari, le risque c’est la mort », ajoute-t-elle. Quant aux raisons humanitaires évoquées, « elles permettront probablement de donner des titres de séjour mais à la discrétion du directeur de l’ARS. Il y aura donc levée du secret médical, c’est scandaleux », s’insurge-t-elle. Le Dr Matthieu Lafaurie, initiateur également de l’appel, se dit « dégoûté » : « On se retrouve avec un texte pire que le premier, rédigé par des sénateurs qui semblaient pourtant plus compréhensifs car ils avaient en première lecture rejeté l’amendement. »
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