« LA QUESTION n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution - la réponse est oui - mais de nous donner les moyens de le faire ». Cette dernière saillie d’une interview accordée par la porte-parole du gouvernement au « Journal du dimanche » en juin dernier, a rouvert une boîte de Pandore. Salués par des associations féministes comme « Osez le féminisme » et « ni putes ni soumises », et par des associations de réintégration sociale comme la Fondation Scelles ou l’amicale du nid, ces propos ont été immédiatement vilipendés par le syndicat du travail sexuel (STRASS), Act Up, et des associations de prostituées (les indépendantes du Bois de Boulogne et les prostituées de Lyon). Les ministres de l’Intérieur Manuel Valls et de la Justice Christiane Taubira se sont montrés légèrement gênés aux entournures. « L’interdiction de la prostitution, c’est compliqué », déclara le premier. « La loi punit déjà le proxénétisme », souligna la seconde.
Les associations de santé communautaire, nées à l’initiative des personnes prostituées dans le sillage de l’apparition du VIH/SIDA, sont, elles, farouchement opposées à toute pénalisation. Pas seulement au nom de la morale. Surtout pour la santé des travailleurs du sexe.
« Des politiques répressives font le jeu du sida », alerte Jérôme Martin, militant d’Act-Up Paris. « Tout ce qui conduit les personnes à se déplacer est un obstacle à l’accès aux soins : c’est jouer l’ordre public contre la santé », poursuit-il. Le conseil national du sida avait déjà épinglé la loi pour la sécurité intérieure (LSI) dans son rapport de 2010 : « Ces dispositifs [dont le délit de racolage passif] ont davantage déstabilisé les personnes prostituées sans parvenir ni à restaurer leurs droits, ni à garantir la stabilité des personnes les plus vulnérables ».
Un tabou autour de la maladie.
À Lyon, les travailleurs du sexe n’ont pas attendu la LSI de 2003 pour s’exiler. En juillet 2002, Gérard Collomb, maire socialiste, prend un premier arrêté municipal interdisant le racolage en centre-ville. Les prostituées se sont déplacées autour de la gare de Perrache, où, après 2003, elles ont exercé dans des camionnettes. Depuis 2004, près d’une dizaine d’arrêtés anti-camionnettes ont fleuri. Conséquences : les travailleurs du sexe sont partis sur les routes nationales au détriment de leur propre sécurité.
Plus vulnérables face aux violences et agressions, ces personnes sont aussi plus éloignées des associations de santé, contraintes de s’adapter. « Quand je suis arrivé fin 2006, nous faisions quelques tournées concentrées sur une route nationale. Depuis, nous avons développé 8 ou 9 itinéraires différents », témoigne Antoine Baudry, animateur de prévention de Cabiria.
Reconnue dans l’agglomération, l’association lyonnaise de santé communautaire créée en 1995 rencontre les travailleurs. Mais l’isolement bouleverse la régularité des contacts, condition sine qua non de la mise en confiance. « Nous ne voyons certaines personnes qu’une fois par mois. Il y a un tabou autour de la maladie. Même à nous elles n’osent pas en parler ! », explique Antoine Baudry. Le climat répressif est un obstacle à la prévention sanitaire. « Lors de nos tournées de nuit, les premières discussions tournent autour de la répression, des interventions de la police. Ce sont vingt minutes de passées qui ne sont pas consacrées à la santé. Après, les prostitués doivent souvent retourner travailler, car le contexte aujourd’hui est à la raréfaction des clients », poursuit le militant.
La répression des clients peut tourner, pernicieusement, à leur avantage, craignent les associations. « Le délit de racolage a fait des prostituées des délinquantes. Elles sont par ailleurs toujours stigmatisées comme victimes des proxénètes, des femmes qui ne décident de rien. Cela conduit certains agresseurs à se sentir légitimes », analyse Antoine Baudry. Les migrantes, qui représentent 80 % des femmes rencontrées par Cabiria, sont encore plus vulnérables. Sans papiers ou dans la grande précarité, elles se retrouvent facilement à la merci d’un client : il sait qu’elles ne porteront pas plainte auprès de la police.
Des pratiques plus risquées.
Les travailleurs du sexe qui utilisent Internet semblent a priori moins touchés par la pénalisation des clients. « Il y a quelques arrestations d’escortes, des menaces d’intimidation, mais pas de condamnation. Ces personnes ne se sentent pas inquiétés par ces projets, mais c’est un leurre », avertit Véronique Boyer, animatrice de prévention pour Internet de l’association toulousaine Grisélidis. Les filles seront davantage discrètes voire disparaîtront des réseaux sur lesquels Grisélidis cible son action de prévention. L’association, qui travaille aussi en surfant sur les forums des clients, perdra en informations. « Et cela constituera un moyen de pression supplémentaire pour les clients : moins nombreux, ils exigeront des pratiques plus risquées, comme des fellations ou pénétrations sans préservatif, et les travailleurs auront une moindre marge de manœuvre », fait remarquer Éva Clouet, coordinatrice de l’action internet chez Grisélidis et sociologue auprès de la Direction générale de la santé (DGS).
Enfin le poids du secret s’alourdira. Une barrière déjà majeure à l’accès aux soins. « Les travailleuses du sexe par Internet ne s’identifient pas souvent comme prostituées alors que leurs pratiques sont parfois plus à risques. Elles ne se présentent pas comme telles face aux professionnels de santé : cela biaise les entretiens et aussi les tests. Elles ressentent comme intrusives les questions des soignants lorsqu’elles viennent tous les 3 mois faire un test de dépistage VIH-SIDA. Et elles n’osent pas toujours demander les autres tests comme hépatite, syphilis.. », explique Véronique Boyer. Selon les associations de santé communautaire, les travailleurs du sexe sont opposés aux politiques abolitionnistes. « Elles rigolent bien quand on leur parle de réinsertion. Plusieurs ont un travail à côté ou en ont eu un, mais ne gagnent pas assez d’argent. Certaines ne veulent pas changer de métier. Enfin les migrantes sans titre de séjour ne se sentent pas concernées par la réinsertion », explique Antoine Baudry de Cabiria.
Act-Up Paris dénonce « l’hypocrisie la plus totale » de l’État, selon les mots de Jérôme Martin, et regrette que le débat ne fasse pas de la santé une priorité. À titre d’exemple, il cite la LSI. Si son volet répressif a été appliqué avec célérité, l’exigence d’une évaluation annuelle de la situation démographique, sanitaire et sociale des personnes prostituées, aussi contenue dans la loi, est restée lettre morte.
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