LE QUOTIDIEN - Quelles sont vos propositions phares en matière de santé ?
CORINNE LEPAGE - Je fais de la santé des enfants un enjeu prioritaire, et je propose d’intégrer la prévention dans les politiques de santé. La prévention est essentielle pour maintenir les gens en bonne santé et pour éviter de mettre en cause, à terme, la Sécurité sociale. Nous avons développé une société du soin, et non de la santé. Je propose de développer les maisons médicales de proximité, et de faire évoluer la formation des médecins. Il faut enseigner la médecine environnementale, créer un corps d’experts en médecine environnementale. Je propose la création de couvertures complémentaires santé obligatoires pour les salariés et les fonctionnaires, ainsi qu’une aide pour les handicapés financée par tous les citoyens - soit environ 60 euros par Français et par an.
Imaginons que vous êtes élue présidente de la République, et que vous héritez du trou de la Sécu. Qu’en faites-vous ?
Il y a une grande hypocrisie à ce sujet : la présentation des comptes n’est pas correcte. Le secteur de la santé exporte et crée des emplois. Alors que nous nous focalisons sur les dépenses, je proposerai de prendre le problème par l’amont. Il y a beaucoup de maladies. Pourquoi, et qui en est responsable ? Il y a une schizophrénie de la société qui produit des maladies d’origine environnementale et qui s’étonne d’avoir à dépenser de l’argent pour les soigner. Le principe pollueur-payeur devrait être appliqué à la Sécurité sociale : un certain nombre de secteurs industriels devrait financer la Sécurité sociale, tels que le tabac, l’alcool, la chimie… Je pense qu’il y a un immense nettoyage à faire sur les médicaments considérés comme utiles, et donc remboursés. Il faut aussi plus de transparence dans la fixation du prix du médicament.
Le quinquennat qui s’achève a été marqué par les affaires Mediator et PIP. Que pensez-vous de la réforme du médicament ?
En tant que député européen, je suis de très près, et depuis longtemps, la question de l’expertise médicale et des lobbies pharmaceutiques. La loi médicament apporte un peu de progrès, mais elle ne va pas assez loin. Il faut rouvrir le dossier lobby, trafic d’influence, conflit d’intérêts. Les liens qu’il peut y avoir entre les laboratoires, les membres du cabinet du ministre de la Santé, les experts de l’AFSSAPS, méritent d’être examinés de très près. Il faut créer un statut de lanceur d’alerte dans le secteur de la santé publique, comme le système de « whistle blowing » [le déclenchement d’alerte] mis en place pour les infractions financières. Ce statut aurait permis aux salariés de PIP qui savaient ce qu’on mettait dans les prothèses de faire quelque chose sans avoir peur pour leur job.
Comment lutter contre les déserts médicaux ?
Obliger les médecins à s’installer ne marcherait pas : ils ne sont que 10 % à le faire en sortant des études. Il faut réenchanter la médecine de ville, améliorer les conditions de vie des praticiens qui doivent faire plus de médecine et moins d’administratif. Il faut aussi assurer la sécurité des médecins. À la campagne, mieux coordonner la ville et l’hôpital ; organiser des maisons de santé délocalisées avec des lignes Internet sécurisées qui permettent aux médecins de terrain de se sentir moins isolés. On n’a pas exploré tout ce que l’on peut faire à cet égard. Beaucoup de choses pourraient être améliorées, qui permettraient une installation plus facile dans les campagnes et les petites villes.
Hervé Morin, ex-candidat à l’élection présidentielle, a fait appel à un chasseur de têtes pour faire venir un médecin roumain dans sa commune. Qu’en pensez-vous ?
Cela montre l’échec de la politique du numerus clausus. Cette politique a abouti à faire travailler en France des médecins étrangers qui n’ont pas toujours le niveau. C’est un gâchis pour les jeunes Français qui ont été recalés.
En tant qu’avocate, quel regard portez-vous sur la judiciarisation de la médecine ?
La France est passée d’une époque où la responsabilité médicale était quasiment impossible à mettre en cause, avant 2002, à un système où des médecins sont paralysés par la peur du risque judiciaire. Les primes d’assurance ont massivement augmenté. Une menace plane sur la santé publique. Un ophtalmo américain m’a dit un jour qu’il ne faisait plus de cataracte car ça ne rapportait pas assez vu le risque encouru. Il faut éviter cela à tout prix, et trouver un juste milieu. La faute caractérisée doit être sanctionnée, mais le domaine médical sanctionnable doit être encadré, de façon à éviter les refus de pratiquer tel ou tel acte.
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