Alors qu'aucun avis du Conseil scientifique Covid-19 n'a été publié depuis le 12 janvier, cinq de ses membres* − dont le Pr Jean-François Delfraissy − font entendre leur voix par le biais d'une lettre dans le « Lancet Public Health ». Ils y appellent à réfléchir à un nouveau contrat social entre générations, alors que les enjeux scientifiques évoluent au regard des nouveaux variants. Ils préconisent ainsi un auto-isolement des personnes âgées et vulnérables, une approche déjà avancée par le président du Conseil.
« Il nous semble qu'à la lumière des données sur l'évasion immunitaire, le stop-and-go (confinement/déconfinement) ne tient plus autant scientifiquement que lors des premiers mois de l'épidémie », rapporte Laëtitia Atlani-Duault, anthropologue, présidente de l’Institut Covid-19 Ad Memoriam (université de Paris) et cosignataire de la lettre, à l'occasion d'un point presse de la nouvelle agence ANRS-Maladies infectieuses émergentes. L'utilisation du confinement doit être réévaluée et ne constituer qu'une solution de dernier recours.
Les variants compromettent l'immunité collective
Les cinq membres appellent à abandonner les « approches fondées sur la peur », qui visent à demander aux citoyens « d'attendre patiemment jusqu'à ce que les unités de soins intensifs soient renforcées, que la vaccination complète soit réalisée et que l'immunité collective soit atteinte ».
Les nouveaux variants remettent en cause l'objectif de l'immunité collective, alors que « des études suggèrent que leur émergence et leur propagation sont corrélées à l'absence de protection immunitaire robuste après une première exposition antérieure au virus (de type sauvage), voire à un vaccin ». Cet échappement immunitaire est un phénomène connu chez les virus, rappellent les auteurs.
La recherche de l'immunité collective peut même avoir un effet délétère : « la dynamique de l’immunité collective naturelle ou vaccinale dans les régions où les variants sud-africain et brésilien ont émergé pourrait avoir exercé une pression importante sur l’écosystème viral, facilitant l’émergence d’un variant à transmissibilité accrue ».
Pour les auteurs, ces nouvelles données virologiques changent la donne, en termes de vaccination et de traitement, mais aussi en termes de stratégies de prévention et de contrôle. La logique du confinement, en plus d'éroder la confiance des citoyens, est trop lourde de conséquences que ce soit sur les plans économique, sociétal et de la santé. Les auteurs insistent sur l'impact sur la santé mentale, et ce tout particulièrement chez les jeunes générations.
Les jeunes générations doivent accepter les mesures barrières
« Pour ralentir l’émergence de nouvelles variantes, tout en évitant un confinement généralisé, les gouvernements doivent intégrer et appliquer les mesures existantes de manière beaucoup plus ciblée sur les différents groupes générationnels », préconisent-ils ainsi, rappelant que de mars à juin 2020, 96 % des décès supplémentaires liés au Covid-19 en Europe sont survenus chez des patients âgés de plus de 70 ans.
En d'autres termes, les auteurs considèrent que les jeunes générations devraient accepter la contrainte des mesures barrières comme le port du masque et la distanciation physique, et que les personnes les plus âgées et les plus vulnérables respectent, en sus, des mesures spécifiques, comme l'auto-isolement volontaire, est-il précisé.
Interrogé sur France 2, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal s'interroge sur la mesure d'auto-isolement : « ces personnes sont déjà les personnes les plus confinées, elles ont réduit leurs interactions, pour la plupart d'entre elles, parfois elles n'ont pas vu leurs enfants, leurs petits-enfants depuis un an. Donc, il faut voir ce qu'est une étape supplémentaire : est-ce que ça veut dire ne plus sortir faire ses courses, (...) ne plus recevoir d'aide à domicile (...) ? Ça semble très compliqué ».
La mise en œuvre de ce nouveau contrat social doit se faire de manière coordonnée avec « le déploiement de la vaccination des populations cibles, incluant toutes les générations », est-il écrit. Ce contrat social donne par ailleurs une place centrale à la stratégie « tester, alerter, protéger », souligne Laëtitia Atlani-Duault.
« Nous, scientifiques qui luttons contre le Covid-19, devons avoir le courage de nous adresser à ceux qui sont au pouvoir, qui sont responsables des politiques choisies et de leurs conséquences. Si cette responsabilité est évitée ou retardée, le jour inévitable des comptes pourrait être terrible », alertent les auteurs.
*Laëtitia Atlani-Duault, Bruno Lina, Franck Chauvin, Jean-François Delfraissy et Denis Malvy
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