LE QUOTIDIEN - Comment jugez-vous les relations entre le monde médical et les pouvoirs publics ?
FRANÇOIS BAYROU - Le monde médical éprouve un sentiment de manque de reconnaissance. Il rencontre des difficultés à se faire entendre et à se voir compris dans ses valeurs, ses attentes, et sa pratique. C’est un monde que je connais bien de l’intérieur parce que j’ai beaucoup de médecins dans ma famille. C’est un monde qui a le sentiment d’être coupé des pouvoirs publics, comme s’il n’y avait plus de lien de confiance. Ça se traduit par le poids des contraintes administratives, et le sentiment que l’acte médical passe au second plan. C’est de cette frustration qu’il faut sortir en choisissant un président de la République et des gouvernants qui comprennent ce qu’est la réalité du diagnostic et du lien humain qui se crée dans la pratique.
À vous entendre, la volonté de reconquête des médecins par Nicolas Sarkozy a échoué ?
Il n’y a pas eu de lien nouveau, pas de sentiment de confiance. Ce qui est humain dans l’acte médical ne doit pas être ignoré, et surtout pas par le premier responsable du pays. Les médecins se sentent mal-aimés parce qu’on présente souvent leur situation matérielle comme privilégiée, mais plus encore ils se sentent incompris. Les revenus des médecins français ne sont pas du tout parmi les plus élevés en Europe, mais le fait que les contraintes administratives sont constamment accentuées devient pour eux la question principale.
Comment faire pour résorber le déficit de l’assurance-maladie ? Où sont les gisements d’économies ?
Ce déficit est insupportable. Personne ne pardonnerait à des parents qui emprunteraient pour leurs soins médicaux...sur le compte de leurs enfants. C’est pourtant ce que nous faisons! On peut soigner mieux en dépensant moins. Prenons l’exemple des urgences hospitalières. Tout le monde y va, 15 millions de personnes par an, ce qui représente 4 milliards d’euros de dépenses. Si on systématisait l’installation en amont des urgences d’un « sas » organisé avec les libéraux pour distinguer entre l’urgent et ce qui relève de la médecine de ville, le gain serait immense pour tout le monde. Il y a 1,5 à deux milliards à économiser.
Autre exemple, les aventures du dossier médical personnel. Qu’en huit ans, on n’ait pas été capable de le mettre en place est invraisemblable. Mettons ce dossier sur une clé USB, ce n’est pas sorcier, et il y a à la clé 3 milliards d’économies.
Je pourrais aussi prendre l’exemple du développement du maintien à domicile après l’hospitalisation. C’est mieux pour le malade, mieux pour les médecins de famille et moins cher pour la Sécurité sociale.
Enfin, le médicament. Nous sommes le pays à la consommation la plus importante, celui aussi où il y a le plus d’hospitalisations pour interactions médicamenteuses. Il y a encore deux ou trois milliards d’économies à faire sur le bon usage du médicament.
Je viens d’ébaucher des pistes d’économies qui se chiffrent en milliards, et sans porter atteinte aux soins, au contraire. Enfin, beaucoup de professionnels de santé me disent qu’ils savent où il y a des viviers d’économies. Il faudrait que ces professionnels qui dénichent des économies soient associés aux bénéfices.
La liberté d’installation est-elle un droit inaliénable alors que se développent les déserts médicaux ?
La liberté d’installation est un droit inaliénable mais on ne peut accepter que persistent ces déserts médicaux, et ces deux affirmations paraissent inconciliables. Je formule une proposition. Je connais très bien le sentiment des jeunes qui se présentent au concours, une fois, puis deux fois, et qui échouent parfois pour quelques millièmes de points. C’est pour eux un désespoir absolu. Or il n’y a pas de différence de qualité entre celui qui passe la barre tout juste, et celui qui passe juste en dessous. Je propose donc d’ouvrir des places supplémentaires à ces recalés de peu, sous condition qu’ils donnent quelques années d’engagement, sept ou huit ans, dans les zones déficitaires à l’issue de leur formation. Je vous garantis qu’ils diraient tous oui !
Que préconisez-vous contre les dépassements d’honoraires ?
Il faut une concertation autour des dépassements, il y a quelque chose qui ne va pas dans ce système, et je suis sûr que la plupart des médecins s’en aperçoivent. Pour le reste, aller vers une rémunération à deux composantes - paiement à l’acte et rémunération sur objectifs de santé publique - est une évolution positive. Je ne fais pas souvent de compliments au gouvernement, mais c’est positif.
Vous voulez créer une autorité indépendante chargée de l’alerte sanitaire et dotée d’experts indépendants. Mais l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui deviendra l’ANSM) existe déjà...
Eh bien non, ce n’est pas du tout ça. L’AFSSAPS est uniquement en charge du domaine du médicament, et elle ne joue pas le rôle que j’attends d’une agence chargée de l’alerte. Si on prend l’exemple de l’amiante, avec ses dizaines de milliers de morts et de vies brisées par un processus industriel au départ séduisant, personne n’a rien dit, ni l’AFSSAPS ni les autres. S’il existait une autorité indépendante dont l’alerte soit la mission au sens large, qu’on puisse saisir avec des éléments de preuve, et qui puisse dire au pays qu’il se passe quelque chose de dangereux, les pouvoirs publics seraient obligés d’agir. C’est ce que j’appelle l’alerte indépendante, et ça n’a rien à voir avec l’AFSSAPS qui défend ses propres autorisations de mise sur le marché. Elle est en quelque sorte juge et partie car il lui est difficile de se déjuger sur un produit qu’elle a elle-même autorisé.
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