LE QUOTIDIEN - Pouvez-vous présenter l’activité de votre laboratoire ?
EMMANUEL DASSA - Notre équipe s’appelle « Physiopathologie et thérapie des maladies mitochondriales ». Sa raison d’être est de proposer, assez rapidement, des thérapies pour des maladies qui n’en ont absolument pas aujourd’hui de manière générale. On parle de maladies rares, mais, finalement, cela représente beaucoup de gens, puisqu’on approche, en les prenant dans leur ensemble, de la limite des 1 pour 2 000. Notre objectif, c’est de faire le lien entre la recherche fondamentale et les médecins pour proposer des thérapies efficaces. C’est la raison pour laquelle nous sommes venus à l’hôpital Debré. On étudie les conséquences physiopathologiques de ces maladies et, parallèlement, parfois de manière corrélée, on essaye des nouvelles thérapeutiques sur des souris génétiquement modifiées qui reproduisent ces maladies. Nous avons déjà un essai de phase III qui se déroule à Robert Debré (soutenu par un Programme hospitalier de recherche clinique) pour l’ataxie de Friedreich, l’une des maladies mitochondriales les plus fréquentes en France.
Combien êtes-vous au sein de cette équipe ?
C’est à géométrie variable. Il y a seulement deux personnes statutaires (un chercheur CNRS et un ingénieur d’études INSERM), deux étudiants en thèse, un chercheur post-doc (moi-même), un ingénieur d’étude (ITA) en CDD, un animalier en CDD et un stagiaire niveau BTS. Notre grande difficulté, c’est de pérenniser les emplois. Il y a pourtant une loi contre la précarité qui interdit de cumuler les CDD pendant plus de six ans moins un jour dans la fonction publique. Mais il manque le corollaire de cette règle : la création de postes à la sortie. La seule solution pour ceux qui arrivent progressivement à leur cinquième année de CDD, c’est de passer des concours dans les organismes de recherche. Mais le nombre de postes est en forte diminution par rapport à l’année dernière. Sachant que les départs à la retraite augmentent, cela fait une baisse d’au moins 25 % par an des postes ouverts. Sur les huit personnes qui travaillent dans notre labo, six sont en CDD, dont deux près du terme selon la loi. Humainement, c’est inacceptable, et sur le plan de la recherche, cela signifie former de nouveaux chercheurs, ce qui prend du temps et de l’argent.
Quelle est votre situation aujourd’hui ?
Je suis arrivé dans ce labo en janvier 2005. J’ai été recruté sur quatre contrats différents depuis le début, de quelques mois à 18 mois. Maintenant, j’ai un contrat de quatre ans dont je ne pourrais malheureusement pas profiter jusqu’au bout à cause de la loi contre la précarité. Je passe des concours en parallèle au CNRS et à l’INSERM.
Malheureusement, ce problème de postes existe depuis plusieurs années. Quel est aujourd’hui votre autre motif de mécontentement ?
Nous sommes face à une grande vague de réformes sans aucune concertation. Lors du mouvement de 2004, qui a abouti à la tenue d’états généraux de la recherche, aucune des propositions des chercheurs n’a finalement été retenue. Pourtant, nous sommes tout à fait d’accord pour que la recherche publique soit réformée. Bon an, mal an, les postes ont été stabilisés en terme de création. Mais les baby-boomers partent à la retraite et ne sont pas remplacés. La loi sur l’autonomie des universités ne fait pas l’unanimité.
Il y a également le problème de la rémunération : jusqu’à maintenant, les chercheurs étaient rémunérés, de la même manière, sur un profil de carrière établi en échelons. Aujourd’hui, on veut passer à la rémunération soi-disant au mérite avec moins de postes. Cela risque d’aller à l’encontre de la collaboration entre les chercheurs. Les modes d’évaluation des chercheurs ont été réformés. Nous nous sommes fait largement insulter le 22 janvier (lors des vux du président Nicolas Sarkozy, N.D.L.R.) et nos tutelles ne se sont pas fait entendre pour nous soutenir.
Nous sommes aussi confrontés au démantèlement des organismes ainsi qu’à la façon d’envisager la recherche publique : on ne laisse plus libre cours à l’imagination des chercheurs mais on oriente les recherches vers des thèmes porteurs décidés en haut lieu. On le voit dans les appels de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Pour nous, l’ANR représente aujourd’hui plus de revenus que les crédits récurrents de l’INSERM.
Qu’attendez-vous de ce mouvement ?
Ce qui fait le plus consensus, c’est l’emploi des jeunes. La tranche d’âge des 30-40 ans, à laquelle j’appartiens, n’existe quasiment plus à l’INSERM et au CNRS. Nous sommes précarisés. Nous voulons la restitution des postes qui n’ont pas été reconduits cette année. Il faut résorber les emplois précaires et réembaucher dans les organismes de recherche, ce qui veut dire mettre un frein au processus de leur démantèlement.
Gardez-vous espoir ou envisagez-vous de partir à l’étranger ?
Je garde espoir car j’aime mon métier. En plus, je ne sais rien faire d’autre ! Je gagne 2 000 euros nets et je suis assez bien payé pour un post-doc. J’aurais la possibilité de partir à l’étranger : je collabore avec un labo qui m’accueillerait à bras ouverts. Mais je ne peux pas, ma femme est enseignante. Je tente ma chance ici, tout en me battant.
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