Mieux vaut tard que jamais. Cette année, le jury du Nobel au Karolinska Institute a décidé d’attribuer le prix de médecine aux découvreurs de deux « vieilles » molécules « qui ont révolutionné le traitement de maladies parasitaires comptant parmi les plus dévastatrices », l’artémisinine contre le paludisme et l’avermectine et son dérivé l’ivermectine contre plusieurs helminthoses, la filaire lymphatique, l’onchocercose ou la loase. La prestigieuse institution suédoise adresse une forme de reconnaissance à ces « Neglected Infectious Diseases », ces maladies tropicales négligées, qui touchent des centaines de millions d’individus chaque année.
« Ce sont deux médicaments géniaux, chacun à leur manière pour des raisons qui ne sont pas du tout comparables, explique le Pr Éric Caumes, de la Pitié-Salpêtrière à Paris (AP-HP). L’artémisine a divisé de moitié la mortalité d’une maladie très fréquente. C’est un médicament intelligent qui agit à tous les stades du plasmodium. Pour l’ivermectine, il n’y a aucun gain de mortalité mais en termes de morbidité, c’est remarquable. C’est la "magic bullet" de la parasitologie. Un traitement minute peut guérir plein de maladies différentes. Autant le premier a un spectre étroit, autant l’autre a un spectre large. »
Une découverte en deux temps
Pour l’avermectine, la découverte s’est faite en deux temps. « C’est une très ancienne molécule issue de la médecine vétérinaire », commente le Pr Caumes. Le microbiologiste japonais Satoshi Omura a ouvert la voie grâce à ses travaux portant sur de nouvelles souches de bactéries Streptomyces « comme source de nouveaux composés bioactifs ». À partir d’échantillons du sol japonais, il a réussi à isoler et à cultiver plusieurs centaines de souches. Le chercheur japonais a sélectionné les 50 plus prometteuses. C’est dans ce panel choisi que William C. Campbell, un parasitologue irlandais travaillant aux États-Unis, a mis en évidence l’efficacité chez les animaux domestiques et de ferme d’un composé produit par la souche Streptomyces avermitilis. Par rapport au diéthyl carbamazine utilisé précédemment dans les filaires, l’avermectine et ses dérivés ont une bien meilleure tolérance. « Son utilisation en médecine humaine a débuté dès 1975 dans le programme TDR d’éradication de l’onchocercose, précise le Pr Caumes. Aujourd’hui, les parasitoses traitées sont innombrables, y compris chez nous dans la gale ».
À partir d’une plante chinoise
L’artémisinine et ses dérivés sont arrivés à point nommé dès les années 1980 alors que les chimiorésistances se développaient pour les antipaludiques notamment la chloroquine. Utilisés en bithérapie avec un second antipaludique à longue durée d’action, les « Artemisinin-based Combination Therapies » ou ACT, sont le « Gold standard » des accès palustres, selon l’OMS depuis 2001. Mais la nouvelle classe de l’artémisinine est dans le fond peut-être la plus ancienne.
C’est en retournant à la médecine traditionnelle chinoise dans le cadre d’un projet lancé à la fin des années 1960 par le gouvernement chinois, que la chercheuse Youyou Tu a réussi à isoler l’artémisinine à partir de l’armoise annuelle (Artemisia annua), utilisée traditionnellement contre la fièvre. Après 2 000 remèdes traditionnels sélectionnés puis 380 extraits fabriqués, il a fallu encore une étape supplémentaire pour arriver à révéler les potentialités du seul extrait prometteur chez la souris. En cherchant là encore la solution dans les textes anciens, la chercheuse a pu modifier le processus d’extraction pour la rendre efficace.
Des résistances
« En 1 heure, le pic sérique est atteint, explique le Pr Bouchaud, de l’hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP). La charge parasitaire chute très vite et brutalement, ce qui concourt aussi à limiter l’émergence de mutants résistants. Trois jours suffisent au traitement complet ». Les ACT sont largement utilisées dans les pays en développement. En France, deux spécialités sont disponibles dans les pharmacies de ville et des hôpitaux, le Riamet et l’Eurartésim. L’artésunate a changé la prise en charge des accès graves. « La quinine IV a été de tout temps le traitement des accès graves, l’artésunate IV l’a reléguée en 2e ligne depuis 2013 », précise le Pr Bouchaud.
Avec plus de 200 millions de personnes touchées chaque année dans le monde, l’endémie palustre a reculé d’un tiers depuis les années 2000, en partie grâce à « un effet spécifique de l’artémisine », souligne le Pr Bouchaud. L’artémisinine, qui agit aussi sur les cellules sexuées parasitaires, les gamétocytes, rompt la chaîne de transmission. « On est à 2 doigts de l’éradication dans certains pays à faible transmission, comme en Asie et en Amérique du Sud, souligne le Pr Bouchaud. Cet objectif peut être mis en cause par la constatation récente d’une baisse de sensibilité dans ces mêmes pays d’Asie. C’est toujours dans cette région entre Thaïlande, le Cambodge et la Birmanie que les foyers de résistance apparaissent, les raisons exactes ne sont pas très bien connues. Pourquoi en serait-il autrement pour l’artémisinine ? Ce n’est pas le moment de relâcher la recherche, il n’y a pas de molécule de secours ».
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