LE QUOTIDIEN – Vous venez de prendre la tête de la Haute Autorité de Santé, quelles vont être les priorités de votre action pour 2011?
Pr JEAN-LUC HAROUSSEAU – Je suis là depuis quatre semaines, et cette période a été surtout consacrée à prendre mes marques par rapport à une institution qui est jeune mais qui s’est déjà beaucoup développée. À ce sujet, je souhaite rendre hommage au travail qui a été effectué par mon prédécesseur Laurent Degos. Le constat que je fais, c’est que la HAS a beaucoup de missions, et qu’elle perd en lisibilité, notamment auprès du grand public. De plus, c’est une machine qui est devenue assez lourde à gérer, et par moments, elle fait preuve d’une certaine lenteur dans ses réponses aux saisines. Enfin, nous faisons un certain nombre de recommandations, de certifications, d’accréditations, mais nous n’avons pas toujours les outils pour mesurer l’impact de ces recommandations. Mes priorités sont donc au nombre de trois : réactivité, efficacité, et complémentarité.
Comment allez-vous les décliner en pratique?
Réactivité, ça veut dire qu’il faut être très réactif aux évolutions très rapides de la médecine, aux demandes qui nous sont adressées, aux besoins des professionnels de santé et du grand public. Pour cela, il faut un programme d’actions plus resserré, avoir des objectifs plus clairement définis. Il faut peut-être aussi modifier les organigrammes et les équipes en place pour que tout le monde travaille avec plus de synergie.
Efficacité, cela suppose qu’on puisse véritablement rendre service dans le cadre de notre mission, qui est la qualité des soins. Depuis le début de la HAS, la qualité des soins a été vécue comme un objectif scientifique. Je crois que maintenant, nous sommes obligés de tenir compte de l’environnement financier et économique. Il ne s’agit donc plus uniquement de désigner le meilleur acte, mais de dire parmi des actes qui sont tous d’efficacité à peu près comparable, quel est celui qui permettra d’obtenir le meilleur coût, de façon à garder des ressources pour s’adapter aux progrès de la médecine. Il faut donc utiliser des indicateurs pour mieux évaluer cet impact. Mais il faut aussi clarifier les messages que nous délivrons. Je sors d’une réunion sur les affections de longue durée. Nous avons rédigé à ce propos des guides pour les médecins, mais qui servent surtout aux étudiants en médecine, car ils leur permettent de faire le point sur cette question. À l’opposé, il y a des guides pour les patients qui sont très bien faits. Il nous faut donc réfléchir à la clarification des messages dans toutes nos missions au service de la qualité des soins.
Enfin, complémentarité. En six ans, la HAS a noué des contacts avec un nombre considérable d’institutions et de directions. Dans les suites de l’affaire du Mediator, je ne sais pas ce qui sera décidé par le ministre, mais quelle que soit sa décision, ou bien cela aboutit à des fusions, ou bien on garde le même nombre d’institutions. Mais même si on garde le même nombre d’institutions, je pense qu’il est absolument capital de clarifier les missions des uns et des autres pour qu’on ne se marche pas sur les pieds et qu’on se parle les uns les autres. Le drame du Mediator a été en partie un drame de communication entre les institutions de santé.
Vous avez parlé de déficit d’image de la HAS vis-à-vis des patients, mais les médecins s’estiment parfois un peu noyés sous les recommandations que vous publiez. Comment faire concrètement pour rendre plus lisible votre action auprès d’eux?
Nous sommes conscients de ce problème. La première règle est de prendre l’avis des professionnels eux-mêmes. C’est ce que nous faisons en les incluant dans nos groupes de travail, dans nos commissions, et en discutant avec eux. Il faut ensuite simplifier nos messages pour aller à l’essentiel. En corollaire, il faut évaluer l’impact. Cela ne sert à rien de faire 2 000 recommandations de bonnes pratiques si elles vont directement au panier ou si elles ne parviennent même pas au destinataire. Il faut donc absolument que pour chacune de nos actions, nous nous posions la question de savoir à qui ça sert, qui reçoit l’information, et comment ils s’en servent. C’est sans doute un problème d’organisation.
Un de vos groupes de travail planche actuellement sur la pertinence des actes? Que pensez-vous de l’idée parfois avancée de relier le financement à la qualité des soins et des actes?
Je vous l’ai dit, on ne peut pas faire l’impasse sur une dimension économique de notre réflexion. Nous avons d’ailleurs une Commission médicoéconomique, et il faut, à différents niveaux de nos actions, intégrer cette notion du coût prévisible. Il faut maintenant se poser la question de savoir quelle est la stratégie qui respectera le mieux les finances publiques pour pouvoir traiter le plus de malades possibles de la meilleure façon.
AFSSAPS ET HAS : CHACUN EST DANS SON METIER
Les médecins rechignent parfois à s’engager dans des procédures du type EPP, FMC, accréditation ou certification, les jugeant assez chronophages. Faut-il changer de braquet pour impulser une dynamique nouvelle à ces dossiers?
Vous voulez dire prendre des mesures coercitives ? Je ne crois pas que ce soit le bon moyen. Le bon moyen, c’est de les persuader de l’intérêt, c’est l’incitation. J’ai dirigé un service d’hématologie, et nous avons passé une accréditation européenne pour les greffes de moelle osseuse. Il a fallu expliquer aux médecins que l’objectif n’était pas uniquement de répondre à des questionnaires, mais d’évaluer leurs propres pratiques, et donc de les améliorer. Et ça a fini par passer. Il y a un objectif secondaire derrière cette certification qui est encore plus important, c’est d’évaluer ses propres pratiques. Chacun a une pratique différente selon qu’il travaille dans un hôpital, dans une clinique privée ou en libéral, mais il faut convaincre les professionnels de l’intérêt de toute cette analyse au service de la qualité. C’est à nous de rendre attractives toutes ces actions en faisant œuvre de pédagogie et en impliquant les professionnels. Plus on leur simplifiera le travail, mieux ça sera, mais plus on les impliquera, plus on aura de chances d’être suivis.
Votre prédécesseur Laurent Degos était opposé à l’idée de faire financer l’EPP et la FMC par les laboratoires pharmaceutiques. Êtes-vous sur la même longueur d’onde?
Je comprends bien pourquoi il s’opposait à cela. L’information que la HAS doit délivrer aux professionnels de santé et aux patients doit être indépendante, protégée de tout lobby, de tout groupe de pression, et en particulier de toute influence de l’industrie. Le problème, c’est que la formation continue est faite par l’industrie. Force est de constater qu’elle y joue un rôle énorme par carence des autres moyens académiques de formation continue. Il faut donc mener une réflexion de fond sur la façon dont on utilise l’industrie pharmaceutique, pour qu’elle puisse contribuer à délivrer une formation continue indépendante. Cela doit-il passer par une taxe, par une mise en commun des laboratoires, plusieurs laboratoires contribuant à une formation continue organisée par un tiers ? Il faut réfléchir à tout ça, mais effectivement, on ne peut pas continuer comme ça. L’industrie pharmaceutique a profité de ses ressources financières pour en générer d’autres en orientant la prescription.
Les décrets DPC sont au point mort. Que va-t-il se passer ?
La démarche du DPC consiste à associer deux des actions dont nous venons de parler, la FMC et l’EPP. Nous, nous sommes prêts depuis la loi HPST parce que ça fait partie de nos missions. Ce qu’il faut, c’est trouver le cadre le plus simple à appliquer, et qui reçoive évidemment l’assentiment des professionnels de santé. Ce n’est pas la peine de chercher à imposer quelque chose si les professionnels n’y adhèrent pas. Il faut travailler main dans la main avec eux. Au départ, c’était difficile car il y avait toutes sortes de congrégations, de chapelles. Maintenant ils se sont organisés et il faut travailler avec ces organisations. Nous avons chargé le Dr Jean-François Thébaut de ce dossier. Il sait qu’il s’attaque à une lourde tâche, mais c’est une bonne chose que ce soit un médecin qui s’en occupe spécifiquement.
À peine nommé à la tête de l’Agence française de sécurité des produits de santé (AFSSAPS), Dominique Maraninchi s’est séparé de plusieurs responsables. Faut-il s’attendre à des décisions similaires chez vous ?
Je ne vais pas commencer par faire le grand nettoyage, d’autant que ce n’est pas dans ma nature. J’aime bien prendre le temps d’observer, de voir comment les choses fonctionnent. Après tout, peut-être n’y a-t-il pas besoin de grands changements. De plus, les changements ont été un peu imposés à Dominique Maraninchi par le drame du Mediator et par les dysfonctionnements qui ont eu lieu à cette époque à l’AFSSAPS. Je pense qu’à la HAS, nous n’avons pas eu le même type de dysfonctionnement. Mon premier réflexe est donc de dire que pour l’instant je cherche à voir comment on peut organiser au mieux cette maison, pour peut-être tirer un meilleur parti des compétences. Il y aura probablement des changements dans les mois qui viennent, mais il ne faut pas s’attendre à des changements multiples, et en tout cas pas justifiés par des dysfonctionnements éventuels de cette maison que je trouve en très bonne santé.
Il semble cependant que la Commission de la transparence ait un peu tardé dans la réévaluation du SMR du Mediator…
Il faut être clair. Quand il y a eu une réévaluation du Mediator en 2006, la Commission de la transparence a évidemment renouvelé son SMR insuffisant. Mais il y avait une nouvelle étude dans une nouvelle indication, et la Commission a été obligée d’attendre l’avis de l’AFSSAPS qui avait souhaité une inspection de l’étude en question. Le gros problème, ça a été l’absence de communication entre l’AFSSAPS et la HAS sur ce problème précis des résultats de l’inspection. Elle a été mise en place en 2007, et on n’a jamais eu les résultats. C’est le rapport de l’IGAS qui nous a permis d’avoir les résultats.
Faut-il regrouper la Commission d’AMM, la vigilance et la Commission de la transparence au sein d’une même agence ?
Ma réponse est qu’il serait préférable de garder le système actuel, et en particulier garder la Commission de la transparence à la HAS. Il serait d’ailleurs un peu paradoxal qu’on change ce qui a le moins mal marché, si je puis dire. Il y a eu malheureusement un concours de circonstances pas tout à fait fortuit qui a fait que le médicament est passé à travers les mailles du filet, mais ce filet n’est pas si mal tissé que ça. À mon sens, le fait que l’AFSSAPS s’occupe de l’AMM et de la vigilance, et que la HAS s’occupe du service médical rendu, c’est-à-dire de l’intérêt thérapeutique, fait que chacun est dans son métier. De plus, ces deux commissions différentes, qui ne siègent pas au même moment et qui peuvent émettre des avis différents, offrent la possibilité d’un deuxième regard. Il faut bien sûr dans ce cas que l’AFSSAPS en soit informée en retour, il faut aussi que les décideurs publics en tirent les conséquences en suivant l’avis de la HAS et en décidant bien du déremboursement en cas de SMR insuffisant. Pour que ça marche, il faut que les décisions de la HAS soient suivies d’effet, et qu’il y ait inter-relation permanente entre l’AFSSAPS et la HAS. Il faut que tout ceci soit organisé par des textes législatifs. Actuellement, on réévalue les anciens produits tous les 5 ans, il faut que cela se passe à intervalles plus rapprochés. Des décisions seront prises dans les mois qui viennent, mais je pense que ce serait une bonne décision que de maintenir cette dualité AFSSAPS-HAS dans l’évaluation du circuit du médicament.
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