LE QUOTIDIEN : Vous venez d'être élu à la tête du LEEM. Quelles sont vos priorités ?
FRÉDÉRIC COLLET : Je souhaite m'engager sur trois chantiers prioritaires. Il s'agit d'abord de mettre en œuvre rapidement et totalement les engagements du conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Je veux donner la priorité à sept mesures : la réforme de l'évaluation ; l'attractivité de la recherche clinique ; la réforme du mécanisme des ATU ; la réduction des délais d'accès aux médicaments ; la croissance du secteur ; l'analyse prospective des innovations ; enfin, la transformation industrielle permettant de créer un environnement favorable pour développer de nouvelles thérapies.
Le deuxième chantier concerne la transformation interne du LEEM. Cela passe par une gouvernance simplifiée organisée autour de six commissions stratégiques dont trois nouvelles consacrées à l'accès aux médicaments innovants, à la réputation et au digital.
Enfin, le dernier chantier concerne le positionnement du LEEM sur des sujets stratégiques de long terme. Nous ne voulons plus être de simples interlocuteurs mais des acteurs et contributeurs de l'innovation.
Pour 2020, le rapport « charges et produits » de la CNAM prévoit quelque 900 millions d'euros d'économies sur le médicament et les produits de santé. Un mauvais signal ?
Nous sommes aujourd'hui dans une régulation totalement contrainte, avec une croissance atone voire négative du secteur. Cette politique de régulation du médicament a atteint ses limites car elle ne favorise pas l'innovation. Nous demandons qu’on restitue des marges de croissance à l'industrie du médicament.
L'engagement du CSIS est précisément de permettre une croissance annuelle a minima de 0,5 % du chiffre d'affaires, progression déjà bien inférieure à certains pays européens comme l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne où ce taux avoisine les 2 voire 3 %. Malgré cela nous voulons y croire et nous demandons que le CSIS soit tenu.
Des associations de patients dénoncent les prix jugés exorbitants des médicaments innovants. Médecins du monde vient de relancer le débat sur les prix des CAR-T cells. Que proposez-vous ?
Pour moi, le prix facial des médicaments innovants n'est pas un bon indicateur car personne ne connaît leur prix net ni leur coût réel. Il faut plutôt parler de la valeur du traitement. Pour la connaître, nous devons la comparer avec le coût global du soin. L'innovation n'est pas que scientifique et technologique, elle doit aussi se retrouver dans l'accès des patients aux traitements.
Bien souvent, avec une seule injection, dans le cas de l'hépatite C ou pour certaines leucémies par exemple, le traitement innovant permet de guérir en se substituant à des traitements chroniques et à des gestes opératoires beaucoup plus onéreux pour la collectivité et plus pénibles pour les patients. L'innovation n'est pas qu'un coût supplémentaire, c'est un investissement qui crée de l'efficience dans le système de santé. C'est ce que nous devons expliquer.
Certains laboratoires utilisent des contrats de prix à la performance, qui lient l’attribution du prix à la preuve de l’efficacité du produit en vie réelle. Faut-il les généraliser ?
Il ne faut bien sûr pas les généraliser. Mais il faut reconnaître que ce type de contrat peut permettre de faciliter l’accès de certaines innovations au marché. Leurs conditions de mise en œuvre doivent être précisées. Ce sera l’un des sujets sur la table de la négociation de l’accord-cadre en cours avec le comité économique des produits de santé (CEPS).
Le Premier ministre s'est engagé à revoir les critères d'évaluation des médicaments par la commission de la transparence. Où en est ce chantier ?
Nous avons travaillé sur deux points qui recueillent un certain consensus. Tout d’abord l’instauration d’un nouvel indicateur, la valeur thérapeutique relative (VTR), fruit d'une fusion entre le SMR (service médical rendu) et l'ASMR (amélioration du service médical rendu) avec trois critères opposables et transparents : le niveau de preuve scientifique, la pertinence clinique et l'impact sur la qualité de vie des patients et l’intérêt pour la collectivité.
Ensuite, nous devons intégrer dans la réflexion la notion de valeur thérapeutique conditionnelle (VTC) pour permettre l’évaluation des produits (souvent très innovants) dans l’attente de la fourniture de données en vie réelle. Nous attendons que les autorités sanitaires se positionnent sur ces sujets.
Mais un élément perturberait ce chantier qui est celui du taux de remboursement unique. Il ne faudrait pas conditionner la réforme de l’évaluation avec celle du taux de remboursement unique. Notre priorité est de faire la réforme de l'évaluation pour qu'elle soit transparente et prévisible pour les traitements innovants. Ce qui m’ennuierait, c'est qu’on reporte cette réforme en voulant lier les deux chantiers.
En plus de la ROSP, l'assurance-maladie envisage un intéressement financier pour les médecins qui prescriront moins d'IPP par exemple. Que pensez-vous de tels mécanismes d’incitation ?
Je comprends très bien que les pouvoirs publics soient soucieux d'infléchir certains choix de prescription. Mais je comprends également que les médecins soient irrités de ces mécanismes de contrôle. Il faut se poser la question de l’acception par les prescripteurs et de l’efficience. Nous serons attentifs à ce que les critères de choix de sélection des parcours de soins, des parcours de traitements soient objectifs, transparents et efficients.
La HAS a rendu son avis scientifique sur l’homéopathie, défavorable au maintien du remboursement. Quelle est la position du LEEM ?
Une autorité compétente, indépendante, a rendu son avis. Il est parfaitement légitime que les laboratoires fabricants aient défendu leurs produits en évoquant les arguments scientifiques et le poids économique d’un secteur dont la France est le leader mondial. Maintenant c'est au gouvernement de trancher. Nous serons très attentifs aux décisions prises.
La pénurie des médicaments s'aggrave. Que proposez-vous ?
Le LEEM a fait des propositions dont la mise en place d'un système de partage des informations entre les différents acteurs concernés et une liste de médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique (MISS). Cette liste concerne plusieurs centaines de médicaments de toutes les classes thérapeutiques.
D'autres propositions concernent la promotion de la production de principes actifs en Europe, la sécurisation des prix de certains médicaments anciens dont la rentabilité n’est plus assurée, une modification du code des marchés publics pour permettre aux hôpitaux de disposer de plusieurs fournisseurs, les restrictions aux exportations parallèles pour les médicaments à risque de pénurie.
Je porte deux convictions : d’une part les ruptures sont un phénomène multifactoriel qui nous impose de travailler ensemble et pas les uns contre les autres. D'autre part il faut à tout prix éviter les mécanismes de sanctions dont l’effet immédiat serait de rétrécir l’offre de produits disponibles sur le marché en dissuadant les opérateurs.
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