LE COMITÉ pour sauver la médecine prénatale entend attirer votre attention sur les conséquences éthiques majeures que représente la suppression par le Sénat de l’amendement du rapporteur Jean Leonetti dans l’alinéa 4 de l’article 9 du projet de loi bioéthique se rapportant au diagnostic prénatal (DPN). Cette suppression amène à nous interroger collectivement : quelle doit être notre conception de la médecine prénatale ? Est-ce une médecine du « tout-dépistage » transformant le médecin en « distributeur-automatique-de-tests » ? Est-ce une médecine raisonnée privilégiant le dialogue entre le médecin et sa patiente, basée sur une proposition des tests adaptée aux risques cliniques de la patiente et du couple ? Sauf menace pour la santé publique, le dépistage systématique d’une pathologie donnée n’a pas de raison d’être en population générale.
Le projet de loi que vous examinez revient dans la pratique à une obligation de prescription des examens médicaux qui concernent actuellement prioritairement la trisomie 21. Or une femme enceinte de 20 ans n’a pas le même risque qu’une femme de 40 ans. En votre qualité d’élu(e) national(e), il vous appartient de vous préoccuper des dérives eugéniques : un dépistage devenu systématique et généralisé est en totale contradiction avec l’article 16-4 du code civil : « Toute pratique eugénique tendant à l’organisation et à la sélection des personnes est interdite ». Voici deux exemples symptomatiques du malaise grandissant chez les professionnels de la grossesse et de la naissance :
- Le dépistage de la trisomie 21 est devenu une obsession, au point d’être synonyme de traque anténatale du handicap, depuis un arrêté ministériel de juin 2009. De ce fait nos métiers ont perdu en sérénité. Or notre société prétend favoriser l’intégration scolaire et professionnelle des personnes atteintes de la trisomie mais elle demande aux obstétriciens de les éliminer avant la naissance, ce qui est le cas pour 96 % des fœtus détectés. Est-ce logique ?
- Une autre contradiction flagrante : les médecins ne se reconnaissent pas dans le grand écart qu’ils font entre d’un côté la traque du handicap anténatal et de l’autre des actes poussés de réanimation néonatale, dans le cadre de la prise en charge des hyperprématurés qui pourront présenter de lourdes séquelles neurologiques.
Est-ce cela l’obstétrique à la française : une médecine du « grand écart » ? Ne craignez-vous pas un accroissement de la désaffection actuelle pour l’obstétrique par une part notable de spécialistes ? Le débat auquel vous allez participer engage l’avenir de nos métiers mais aussi la vision de notre société sur l’accueil du handicap.
En rétablissant l’amendement selon lequel les examens de biologie et d’imagerie médicale sont proposés à la femme enceinte « lorsque les conditions médicales le nécessitent », c’est-à-dire adaptés à la femme enceinte selon son état clinique, vous inciterez le médecin à penser la pertinence de ce dépistage, ses risques et ses implications pour chacune des patientes. L’esprit de la loi sera ainsi en totale conformité avec le code de déontologie médicale (article R4127-8 relatif à la liberté de prescription), et le code de la santé publique (article L1111-2 relatif au droit à l’information du patient). À l’inverse, vous laisserez supposer que toute pathologie doit être dépistée avant la naissance. Ce sera alors l’officialisation d’un choix sociétal du « bébé-zéro-défaut », déjà largement initiée par le dépistage prénatal des fœtus atteints de trisomie 21.
À la mémoire de notre consœur et amie
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