FILS ET PETIT-FILS de paysans alsaciens, Louis Schittly se destinait à reprendre la ferme familiale. Issu d’un milieu de hauts fonctionnaires à Kaboul, Ahmad Ashraf se rêvait écrivain. Mais tous les deux, par le hasard des événements, sont devenus médecins. Et tous les deux furent précipités dans des parcours humanitaires, au cœur des guerres, plongés dans le chaos des combats.
Pour Louis Schittly, la vocation de la rébellion est venue tôt, dès le petit séminaire où il prépare le bac, trempant « dans le marigot du clergé ». Mai 1968 l’enthousiasme aussi vite que son issue l’accable, alors qu’il vient, à 31 ans, de prêter le serment d’Hippocrate. C’est alors qu’il est happé par d’autres événements, au Biafra. Sous les couleurs du CICR (Comité international de la Croix-Rouge), il s’enrôle pour sa première campagne. Il raconte avec fébrilité « une guerre imbécile et une cause humanitaire juste », au Biafra, puis en Côte d’Ivoire, pendant deux années passées surtout au chevet des enfants victimes de la famine. Clinique des gales, ascaris qui sortent par la bouche ou par le nez, diarrhées, ankylostomes… Déparasiter, transfuser, puis nourrir, dans un hôpital pédiatrique où le médecin broussard ne dort pas plus de quatre heures par nuit, dans une ambiance de guerre et d’étranglement, c’est la course contre le temps pour sauver le maximum d’enfants.
Mercenaire.
Le Biafra fait oublier à Louis Schittly les déconvenues de mai 1968. Mais n’a pas raison de ses révoltes. Il dénonce les permanents du CICR, « anciens casques bleus selon la rumeur, avec leurs montagnes de bagages, leurs sales gueules, leurs bouteilles de whisky qui circulent (...) fonctionnaires de la charité, trop bien habillés, trop bien payés, trouillards, qui (le) dégoûtent profondément ». Il s’en prend aussi aux médecins qui ont travaillé du côté nigérian, « très propres, bien habillés, bien nourris, bien payés sans doute, rasés de près, puant l’after-shave, l’ordre et la propreté ».
Après cette épreuve initiatique, c’est dans un hôpital de l’ordre de Malte, au Vietnam, qu’il mène sa deuxième campagne, devenant, écrit-il, « une sorte de mercenaire de l’humanitaire, un guerrier preux face à la mort, mais dont l’arme était la médecine » ; il concilie l’inconciliable : être un Dr Schweitzer et un légionnaire.
Mais au retour en Alsace, il ne sait toujours pas à quoi atteler ses enthousiasmes, ses colères et ses contradictions. Et c’est ainsi qu’il décide de rejoindre l’Afghanistan, pendant la guerre soviétique, sollicité cette fois par AMI (Aide médicale internationale). Cette troisième campagne sera la plus rude. Pour porter secours à des populations abandonnés de tous dans la montagne, brodequins aux pieds et sac-à-dos, il endure des marches quotidiennes de 50 km, au milieu des rochers du Nouristan, passant des cols enneigés à 5 000 mètres. Médecin de campagne, il remplace les médecins afghans qui ont quitté le pays en masse.
Auprès des victimes.
Peut-être, en ces années 1980, aurait-il pu croiser l’un d’eux, Ahmad Ashraf, autre humanitaire, qui fera plus tard le voyage en sens inverse : Afghan que les événements contraindront, pour échapper aux extrémistes, à s’installer en France. « Je ne voulais pas être médecin », confie-t-il, découvrant « le vrai goût de la médecine » dans son pays en guerre, auprès de victimes russes envoyées sur le terrain des combats, des soldats afghans ou des pauvres gens du camp d’en face, jeunes de 18 ou 20 ans, endoctrinés et jetés dans la bataille. Et ce sont, raconte-t-il, les victimes de toutes les atrocités qui lui apprendront son métier de neurochirirugien. À l’hôpital d’Hérat (Nord), il accueille chaque nuit de garde 200 blessés, dont la moitié sont dans un état grave. Comme officier, il participe à des missions de combat, soignant sur le terrain militaires, résistants et miliciens, au mépris de la réglementation militaire. « Mais ce sont tous des malades, explique-t-il. La médecine n’a rien à voir avec la haine des hommes. Je dois les soigner. C’est tout. Dans un camp ou dans un autre, on est toujours médecin. C’est un métier transnational. Que vous vous trouviez ici, au Cambodge, ou aux États-Unis, votre fonction ne change pas. » Il dirige l’hôpital dans la journée, soigne les miliciens et les membres de la résistance la nuit. Jusqu’au jour où les services secrets s’en inquiètent. Contraint au départ, il choisit la France et atterrit en 1989 au service de neurochirurgie du CHU de Grenoble. ll y exerce encore, revenant régulièrement dans son pays pour des missions humanitaires, notamment avec la Chaîne de l’Espoir. à Grenoble ou à Kaboul, ses jugements sont empreints de la même sévérité. « La dégradation des hôpitaux publics français se poursuit, observe-t-il. L’hôpital risque de se transformer en une banale entreprise qui cherche avant tout à optimiser sa production et dans le même temps la production de soins dans les services de chirurgie se détériore par manque de moyens et de personnel. » En Afghanistan, il dénonce « l’expansion de la médecine commerciale. Sous les communistes, les médecins n’étaient pas corrompus, pas un ne travaillait pour de l’argent. Tout cela est perdu, aujourd’hui, on ne se préoccupe pas des malades mais on ne veut qu’une chose : de l’argent. Quitte à dépouiller les patients. »
Ahmad Ashraf met aussi l’humanitaire sur la sellette : « Certains médecins y viennent en raison de problèmes d’insertion sociale ou professionnelle, analyse-t-il ; d’autres cherchent une occasion d’acquérir une expérience D’autres encore tentent de surmonter un échec personnel et cherchent à tourver plus malheureux qu’eux afin d’oublier leur chagrin. »
Revenu dans sa ferme, Louis Schittly n’est pas moins désabusé. « Pour Kennedy et Adenauer, comme pour de Gaulle au Biafra, conclut-il, l’humanitaire était une arme de guerre comme les autres. J’avais cru que les humanitaires pouvaient freiner la guerre, l’arrêter même ; je ne le crois plus. » Mais il avoue qu’il ne s’interdit pas, dès la fin de la rédaction de son livre, de chercher à se rendre encore utile au loin, dans un dispensaire de brousse.
Louis Schittly, « l’Homme qui voulait voir la guerre de près », Arthaud, 382 p., 19,90 euros.
Ahmad Ashraf, « Nos Luttes cachent des sanglots », Bayard, 204 p., 16 euros.
Protection de l’enfance : Catherine Vautrin affiche ses ambitions pour une « nouvelle impulsion »
Dr Joëlle Belaïsch-Allart : « S’il faut respecter le non-désir d’enfant, le renoncement à la parentalité doit interpeller »
Visite médicale d’aptitude à la conduite : le permis à vie de nouveau sur la sellette
Le dispositif Mon soutien psy peine à convaincre, la Cnam relance l’offensive com’