› TRIBUNE LIBRE
HUIT ANS APRÈS l’adoption de la loi dite « Léonetti » concernant la fin de vie, une proposition de modification présentée à l’Assemblée nationale vient d’être rejetée par Madame la ministre des Affaires sociales et de la Santé qui a en outre ajouté que, sur une question « aussi sensible », il faut disposer « d’un état des lieux fiable et le plus exhaustif possible ».
Le Centre Hospitalier Intercommunal (CHI) d’Elbeuf-Louviers s’est donné les moyens d’un tel état des lieux : composé de 1 859 agents et de 1 054 lits allant de la réanimation au long séjour, il a mis en œuvre les moyens de connaître les thèmes concernant les connaissances et les pratiques éthiques que ses agents souhaitaient voir développer dans le domaine de la fin de vie, notamment.
Un vaste questionnaire comportant trois parties distinctes et nécessitant un temps de réponse moyen de 25 minutes a été envoyé aux 1 859 agents en juin 2010. Le taux de réponse est de 28 % avec 525 questionnaires, ce qui constitue un taux très élevé de réponses et une source fiable d’analyse. Les résultats, disponibles depuis mi-2012, et l’actualité récente rendent ces conclusions tout à fait pertinentes dont nous donnerons ici les résultats principaux.
Un échantillon représentatif.
De manière à avoir un échantillon totalement représentatif des agents du CHI en termes de sexe, de secteur et de groupe professionnel, un redressement par pondération a été effectué, sur la base des données issues du bilan social 2010. Un nouveau coefficient a été appliqué à chaque agent, selon que sa catégorie était sous- ou sur-représentée. Les données recueillies ont été analysées grâce au logiciel Sphinx IQ.
Les résultats ont été étudiés soit par groupe professionnel – groupe prescripteur (G1-13 %), groupe acteur de soins non-prescripteur (G2-67 %), groupe administratif et logistique (G3-20 %) –, soit par secteur d’activité – secteur de soins aigus (S1-60 %), secteur de soins chroniques (S2-40 %).
En première partie, les agents devaient choisir les 5 questions éthiques qui les intéressaient le plus parmi 30 propositions. Ensuite, on évaluait l’état de leur connaissance de la loi Léonétti, à partir de 9 thèmes éclatés en 23 questions. Enfin, ils pouvaient apprécier leur pratique de soins à partir de 21 propositions.
Quelle priorité éthique ?
En premier lieu, nous constatons que les agents, s’intéressent d’abord à la fin de vie et à la douleur ; la première proposition qu’ils ont choisie, selon les groupes professionnels et secteurs, étant : « l’obstination déraisonnable (acharnement thérapeutique) » (G1-41 %), « la douleur et sa prise en charge » (G2-47 %, S1-42 %), « l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté » (G3-45 %), puis « fin de vie et soins palliatifs » (S2-51 %).
Peut-on en déduire que cet intérêt pour la fin de vie et la prise en charge des douleurs qui y sont associées serait liés à une bonne connaissance de la législation française en ce domaine, et de la culture palliative ?
Les réponses sont fournies par l’analyse de la seconde partie du questionnaire où les agents devaient répondre par Oui ou Non, aux propositions données.
À la question « Connaissez-vous la Loi Léonétti – loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ? », la réponse est significativement supérieure pour G1-58 % et S2-52 % comparée à G2-42 %, G3-28 % et S1-40 %. Il n’en reste pas moins que, avec 58 % pour G1, on pourrait en conclure que cette loi est encore assez mal connue.
Pour autant, nous constatons que la culture palliative est présente avec plus de 70 % de réponses correctes devant les thèmes concernés par la loi Léonétti.
Les sujets les moins maîtrises sont l’obstination déraisonnable, les directives anticipées, et les soins palliatifs avec l’analyse concernant l’alimentation en fin de vie, avec respectivement 73, 76 et 79 % de réponses correctes.
Nous retrouvons ainsi deux des trois pistes d’évolution de la législation que propose le gouvernement après l’annonce des recommandations de la mission Sicard : les directives anticipées et l’accompagnement de l’arrêt des traitements.
Cependant, aux questions :
- « Selon vous et d’après ce que vous savez, le code pénal en France autorise l’euthanasie d’exception ? », la réponse est Non à 95 %.
- « La définition de l’euthanasie est une action ou une omission dont l’intention première vise la mort d’un malade pour supprimer la souffrance ? », Oui à 78 %
- « La demande d’un patient qui réclame l’euthanasie doit être respectée ? », Non à 75 %.
- « En soins palliatifs, on aide le patient à mettre fin à ses jours, si les souffrances sont insupportables ? », Non à 92 %.
Les résultats du questionnaire montrent qu’il n’existe pas de différence significative entre les groupes ou les secteurs et l’on peut ainsi noter que les agents ne répondent pas en fonction de leur niveau de connaissance permis/défendu puisqu’ils sont peu informés de la Loi sur la fin de vie. Ils savent toutefois parfaitement définir ce qu’est l’euthanasie ainsi que le suicide médicalement assisté.
Il s’agit donc désormais de nourrir le débat à partir de la synthèse des résultats de la 3ème partie qui est sans équivoque.
Des niveaux de préparation inégaux.
Le secteur chronique (S2) est significativement mieux préparé que S1 à la prise en charge des patients en fin de vie, mais il manque le dialogue entre les équipes médicales et paramédicales, quel que soit le secteur, particulièrement lors de prise en charge difficile.
La procédure collégiale médicale en concertation avec les équipes paramédicales est encore sous-utilisée et les pistes d’améliorations proposées par les agents sont :
- La concertation,
- la douleur,
- le temps de présence auprès d’un malade mourant.
On peut craindre de voir une modification de la législation en faveur d’une aide à mourir, qui ne corresponde pas aux attentes des agents et risquerait d’aggraver un déficit de dialogue déjà important.
Il y a urgence à se mobiliser pour renforcer les soins palliatifs existants et maîtriser la douleur de manière plus efficace avec un accompagnement des patients et des soignants en situation difficile.
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