Il est crucial que les États et les décideurs internationaux « placent les enjeux éthiques au cœur de toute discussion sur l'édition du génome transmissible à la descendance », appellent dans une déclaration commune publiée ce 3 mars dans « Nature » le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) français et ses homologues allemand (Deutscher Ethikrat) et anglais (Nuffield Council on Bioethics).
Si la modification du génome humain transmissible à la descendance est interdite dans ces trois pays, la législation est ailleurs souvent « inexistante, ambiguë, ou non suivie d'effet », regrettent-ils. Certes, les manipulations du génome de jumelles nées en 2018 par le Chinois He Jiankui ont été unanimement réprouvées, le chercheur a été condamné à trois ans de prison. Et l'Organisation mondiale de la santé a mis sur pied un comité d'experts sur l'édition génomique ainsi qu'un registre recensant toutes les recherches sur le sujet.
« Ces initiatives de réflexion se centrent essentiellement sur des questions pratiques telles que l'évaluation bénéfice-risque de ces techniques ou encore quand et comment leur mise en application pourrait avoir lieu », observent les trois comités d'éthique. « Aucune instance internationale n'est en mesure d'édicter des règles de portée universelle », constatent-ils encore.
Débat sociétal, réduction des incertitudes, et évaluation des risques
Ces trois comités alertent sur les principes éthiques fondamentaux à mettre au cœur des discussions.
Ils appellent tout d'abord à placer l'édition du génome transmissible sous le contrôle des autorités publiques concernées et à sanctionner tout abus.
Puis, dans un second temps, sans fermer la porte à tout essai clinique d'application de l'édition du génome transmissible (« ils ne considèrent pas que la lignée germinale humaine soit catégoriquement inviolable » lit-on), les comités indiquent trois conditions préalables.
Premièrement, un grand débat impliquant toutes les composantes de la société doit être organisé en amont de tout essai. Au-delà de l'analyse de risques et des bénéfices, il s'agit de définir les normes éthiques à respecter.
Ensuite, « aucun essai clinique d'application de l'édition du génome transmissible ne saurait avoir lieu tant que la recherche n'aura pas ramené à un niveau acceptable les incertitudes considérables planant actuellement sur les risques d'une utilisation clinique » (par exemple, effets « off target », embryons mosaïques, ou autres conséquences imprévisibles).
Enfin, aucun essai ne peut être autorisé « tant que les risques d'effets indésirables », à l'échelle de l'individu, du groupe et de la société n'auront pas été « convenablement évalués et que des mesures n'auront pas été instaurées pour en assurer le suivi et le contrôle ».
Des différences entre les pays
Les trois comités d'éthique se rejoignent pour affirmer que la mise en œuvre de l'édition génomique ne doit pas accentuer les inégalités, discriminations et divisions au sein de la société. Ils partagent aussi les principes de solidarité, de justice sociale, de bienfaisance et non-malfaisance, et la prise en compte du bien-être de l'enfance à naître. Et s'accordent sur l'idée que ces techniques d'édition génomiques pourraient être acceptables pour prévenir la transmission de maladies héréditaires graves.
Mais les différentes structures, qui ont chacune de leur côté publié des avis sur la question, font entendre des voix différentes, liées aux contextes culturels, dans la définition des « cas où l'application clinique de l'édition du génome transmissible pourrait être moralement permise ».
Le comité allemand recommande une évaluation au cas par cas, qui fasse de la dignité humaine de la protection de la vie, de la liberté et du respect de la nature des notions clés. Le comité du Royaume-Uni, où, contrairement à la France, sont autorisées la création d'embryons pour la recherche et depuis 2016 la thérapie de remplacement mitochondrial (bébé « à trois parents ») – estime que l'utilisation des techniques d'édition génomique peut être éthique à condition de respecter le bien-être de la personne à naître et son intérêt dans un contexte sociétal donné.
Enfin, le CCNE, qui publie ce 3 mars en parallèle l'avis 133 sur ces questions où il se prononce pour un moratoire international préalable à toute mise en œuvre, réitère son opposition au recours à ces techniques dans une perspective transhumaniste d'homme augmenté.
Plus d'informations sur l'avis 133 dans l'édition du 5 mars du « Quotidien ».
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