Par la force des choses, en infectiologie, oncologie ou diabétologie, tous les essais cliniques ont appris à se dématérialiser pendant le premier confinement, un suivi des participants « hors les murs » qui tend à se pérenniser.
Déjà, 40 % des essais cliniques comportent au moins une étape digitalisée pour le patient, versus 10 % avant la crise, selon IQVIA. La société américaine a été mandatée par Les entreprises du médicament (Leem) pour décrypter le visage des essais cliniques en 2030.
Essais cliniques à domicile
Intelligence artificielle, numérisation, bras virtuels ou thérapies innovantes : des experts français et internationaux du secteur ont été sondés par IQVIA. Et en 10 ans, la part d’essais cliniques innovants – intégrant un volet numérique – a été multipliée par deux. « La décentralisation des essais cliniques est la modalité la plus innovante et la plus utilisée aujourd’hui », souligne Charlotte Bazire-Achcar, responsable de l'étude pour IQVIA. Cette décentralisation repose précisément sur la digitalisation desdits essais (télémédecine, e-consentement, suivi à domicile). Alors que 70 % des malades intégrés dans les essais cliniques résident à plus de deux heures de route d’un centre investigateur, ces études « ambulatoires » se posent désormais comme un rempart « au fardeau porté par les participants », détaille le Leem.
Preuve de cette dynamique, une proposition de loi, portée par des sénateurs LR, entend consacrer la possibilité de réaliser les essais cliniques au domicile des patients, en permettant le recours à la télémédecine. Pour la rapporteure de la proposition de loi, Annie Delmont-Koropoulis, cela doit permettre de « remédier au problème du transport des enfants atteints de pathologies rares vers les centres spécialisés, peu nombreux et mal répartis » sur le territoire. « Avec le recrutement de plus en plus difficile des patients et la pandémie, la décentralisation est un immense booster », confirme Charlotte Bazire-Achcar.
Groupe contrôle virtuel
L’étude IQVIA montre également l’importance pour les industriels d’acquérir des informations sur leurs médicaments en vie réelle, via des dispositifs connectés par exemple, afin de « recueillir des données d’efficacité et de tolérance dans la vraie vie ». Un usage du big data qui revêt également tout son intérêt en amont des études sur l’homme. Biomarqueurs, données issues de l’imagerie, génomiques ou métaboliques : « l’intelligence artificielle va prendre en compte toutes ces données multisources pour permettre la meilleure intervention possible auprès du participant », illustre Sarah Zohar, directrice de recherche Inserm, imaginant que « les essais de demain pourront même présélectionner les patients ».
Un pas plus loin dans l’innovation : le « bras virtuel ». Aussi appelés tests in silico (référence au silicium des microprocesseurs), ces jumeaux numériques permettent de « simuler numériquement une intervention médicale, un organe ou une pathologie donnée, à différents moments du soin : traitement, diagnostic, parcours », traduit le Pr Rodolphe Thiebaut, PU-PH au CHU de Bordeaux. Ce jumeau numérique repose sur des modèles mathématiques conçus à partir de données en vie réelle. « On va par exemple créer des patients numériques similaires à ceux que l’on aurait inclus dans le groupe contrôle de l'étude », explique Sarah Zohar (Inserm).
À l’Inserm, des essais de ce type sont en cours pour, par exemple, modéliser la réponse immunitaire dans le cadre d’une immunothérapie par interleukine-7 chez les patients infectés par le VIH. Toutefois, pour l’heure, aucun bras virtuel n’a totalement abouti en France. « C’est sûr qu’on est encore loin du jumeau numérique en corps total, concède Sarah Zohar. On peut aussi se poser la question de savoir si le bras virtuel, seul, suffit pour simuler le groupe contrôle d’un médicament. En tout cas, la FDA a déjà émis des recommandations pour favoriser leur prise en compte ».
Impliquer les libéraux
Essais ambulatoires, données en vie réelle et bras numérique : sans surprise les États-Unis se placent en tête du palmarès mondial des pays les plus innovants, dressés par IQVIA. « Ils ont déjà adopté la plupart de ces évolutions dans leurs essais cliniques », souligne Charlotte Bazire-Achcar. Mais la France n'est pas en reste. Elle se place en 4e position, derrière le Royaume-Uni et l’Espagne. « Pour les laboratoires, la position de la France est particulièrement intéressante en termes de données de santé, grâce au Système national des données de santé, mais aussi en matière de thérapies innovantes, cellulaires ou génétiques », précise l'experte.
Pour aller plus loin dans le développement des essais cliniques 2.0, le Leem plaide pour la création d'une « plateforme nationale exhaustive et partagée qui recense tous les essais cliniques en cours », imagine son directeur général Philippe Lamoureux. « Ce serait un outil d’orientation pour les patients et le médecin traitant », espère-t-il.
Les libéraux, enfin, pourraient être davantage impliqués dans les essais cliniques ambulatoires ou le recueil de données en vie réelle, à condition de valoriser le temps passé. Pour Thomas Borel, directeur des affaires scientifiques du Leem, « il y a probablement des mécanismes incitatifs à soutenir dans le cadre de la convention médicale pour favoriser ce temps d’expertise ».
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