Nul ne peut dire avec certitude quand la variole – longtemps appelée petite vérole – a fait son apparition. Les premiers signes effectifs de sa présence ont été retrouvés sur des momies égyptiennes du troisième millénaire. Les commerçants égyptiens auraient ensuite exporté la maladie en Inde, décrite dans les livres aryuévédiques, puis en Chine. La petite vérole a été probablement été introduite en Europe à l’occasion des invasions arabes au VIe siècle, après l’épidémie de la Mecque en 572 après Jésus-Christ et jusqu’au XVIIIe siècle, la maladie va faire des apparitions ponctuelles sur le Vieux Continent. Excessivement contagieuse, la maladie lorsqu’elle débute présente des symptômes semblables à la grippe (fièvres, céphalées, courbatures) avant que des éruptions cutanées, pouvant laisser des cicatrices cutanées, apparaissent sur le visage, le cou et les membres.
« Le fléau des familles »
Pour combattre « le fléau des familles », les Chinois vont pratiquer dès le XIe siècle la variolisation qui consiste à inoculer une forme présumée peu virulente en mettant en contact la personne à immuniser avec le contenu de la substance suppurant des vésicules d'un malade. C’est à la demande du premier ministre, Cette technique prophylactique avait été imaginée par un moine taoïste après que le Premier ministre, Wang Dan, ait convoqué les meilleurs praticiens de l’Empire Céleste pour trouver un remède à la variole, la maladie ayant emporté un de ses fils.
[[asset:image:2106 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["La femme de l\u0027ambassadeur anglais \u00e0 Istanbul fit conna\u00eetre la technique de l\u0027inoculation en Europe en 1718."]}]]Après s’être généralisée dans toute la Chine, la pratique de l’inoculation allait faire son petit bonhomme de chemin vers l’Europe, via la Route de la Soie. Ainsi, la première variolisation fut pratiquée à Constantinople par Giacomo Pylarini en 1701 et va être introduite en Angleterre, en 1718, par Lady Mary Mortley Wortley Montagu, femme de l’ambassadeur en Turquie, après qu’elle en ait eu la connaissance par le médecin de la mission diplomatique, Emmanuel Timoni. Elle raconte ainsi les effets de la variolisation, telle qu’elle a pu le voir à Istanbul : « Toute une série de vieilles femmes, raconte-t-elle, font commerce de pratiquer cette opération chaque automne, au mois de septembre, quand les grandes chaleurs sont tombées. Les gens se demandent les uns aux autres s’il y a quelqu’un dans leur famille qui a envie d’attraper la petite vérole. À la suite de quoi ils organisent une réunion et quand ils sont tous là (en général quinze ou seize), une vieille femme se présente avec une coquille de noix pleine de petite vérole du meilleur cru, et elle demande quelle veine il vous plairait de faire ouvrir. Elle perce aussitôt avec une grosse aiguille celle que vous lui offrez (ce qui ne vous fait pas plus de mal qu’une égratignure) et elle introduit dans la veine la quantité de venin qui tient sur la pointe d’une aiguille. Après quoi elle ouvre de la sorte quatre ou cinq veines. Les enfants inoculés jouent ensemble tout le reste de la journée et restent en parfaite santé jusqu’au huitième jour ; à ce moment, ils sont saisis de fièvre et gardent le lit pendant deux jours, très rarement trois. Il leur pousse parfois de vingt à trente boutons sur la face, mais qui ne laissent aucune marque et au bout de huit jours, ils se portent aussi bien qu’avant. »
La variole, plus meurtrière que la peste
Après la présentation par Timoni de son traité sur l’inoculation à la Royal Society de Londres, les articles sur les bienfaits de l’inoculation vont envahir les colonnes des journaux européens. Si l’on parle tant de cette nouvelle méthode, c’est que la variole, d’apparence moins terrifiante que la peste est bien plus meurtrière en ce début de XVIIIe siècle, touchant 80 % de la population et en tuant 8 à 10%. Comme l’écrit Pierre Darmon dans son livre « La longue traque de la variole » : « terriblement meurtrière, la petite vérole était aussi une maladie, rampante, banale, voire “ domestique “. Un jour ou l’autre, chacun lui verserait son tribut et la dîme mortuaire pèserait sur les plus malchanceux » .
Polémiques et controverses en France sur l’inoculation
Malgré une campagne menée en 1727 par Voltaire en faveur de l’inoculation – qui écrit dans ses Lettres philosophiques : « Cette pustule fait, dans le bras où elle est insinuée, l’effet du levain dans un morceau de pâte » –, la pratique de l’inoculation a du mal a se mettre en place en France, la variolisation rencontrant l’hostilité de nombreux médecins. La première inoculation vraiment « médiatisée » ne fut pratiquée qu’en 1756 par le docteur Théodore Tronchin sur la personne des enfants du Duc d’Orléans. Peine perdue ou presque… La Condamine qui avait fait l’apologie de la variolisation en 1754 à l’Académie Royale des Sciences, ne va dénombrer en 1758 que 100 inoculés à Paris et, dix ans plus tard, 1 000 dans toute la France. La controverse va faire rage durant toute cette période et les pamphlets, échanges de lettres et mémoires présentés à l’Académie pour ou contre l’inoculation vont se multiplier.
Bernoulli, épidémiologiste avant l’heure
Pour tenter de mettre fins à ces polémiques, le médecin et mathématicien, Daniel Bernoulli, épidémiologiste avant l’heure, va proposer à l’Académie des Sciences une modélisation d’une épidémie de variole et une évaluation de l’impact de l’inoculation. Il en conclut que sur 1 300 enfants survivants à la naissance, l’inoculation permettra un gain de 80 vies à 24 ans (644 au lieu de 564) et qu’en cas d’inoculation l’espérance de vie passerait de 30 à 34 ans. S’ensuivi de cet exposé une nouvelle polémique entre, cette fois-ci, Bernouli et d’Alembert rapportée ainsi par Laplace dans son « Essai sur les probabilités » : « D’Alembert attaque l’analyse de Bernouli, [...] en ce que l’on n’y faisait point entrer la comparaison d’un danger prochain, quoique très petit, de périr de l’inoculation, au danger beaucoup plus grand, mais éloigné, de succomber à la petite vérole naturelle. Cette considération qui disparaît lorsque l’on considère un très grand nombre d’individus, est par là indifférente aux gouvernements, et laisse subsister pour eux les avantages de l’inoculation ; mais elle est d’un grand poids pour un père de famille qui doit craindre, en faisant inoculer ses enfants, de voir périr ce qu’il a de plus cher au monde et d’en être la cause. »
Le 8 juin 1763, le Parlement de Paris, après avoir consulté les Facultés de médecine et de théologie, interdit sur son territoire les inoculations urbaines hors d'établissements spécialement dédiés. L'inoculation est accusée de contrecarrer la volonté de Dieu et d'accroître l'épidémie à Paris comme à Londres.
14 mai 1796 : Jenner vaccine un petit paysan de huit ans
Entre 1770 et 1791, pas moins de six personnes, au nombre desquels le fermier anglais, Benjamin Jesty et le maître d’école allemand Peter Plett, vont faire des recherches sur la possibilité d’immuniser les humains de la variole en leur inoculant la variole des vaches présente sur leurs pis.
Suivant la même piste, Edward Jenner, un simple médecin de campagne,qui depuis vingt ans effectue des recherches sur la variole par l’étude de la vaccine des vaches, va débarrasser l’humanité de la variole en pratiquant la première vaccination contre la terrible maladie le 14 mai 1796.
Ce jour-là, Edward Jenner va, en effet, inoculer un petit paysan de huit ans, James Phipps, avec le contenu des vésicules de vaccine (la variole des vaches) recueillies sur la main de Sarah Nelmes, une trayeuse qui avait contracté la vaccine transmise par une vache répondant au doux nom de « Blossom » (fleur). Dix jours après avoir été vacciné, l'enfant présenta une pustule vaccinale au point d'inoculation qui guérit sans incident. Ensuite, Jenner lui fit subir une variolisation, qui n'eut aucun effet (après un délai d'observation de deux ans). Jenner renouvela l'expérience une trentaine de fois, selon des procédés différents: « de bras à bras », « directement » avant de publier à ses frais, en juin 1798 « An Inquiry into the Causes and Effects of the Variolae Vaccinae... » (« Enquête sur les causes et effets de la variole vaccine, maladie découverte dans certains comtés occidentaux de l'Angleterre, notamment dans le Gloucestershire, et connue sous le nom de cow-pox. ») où il jette les bases de l’immunologie appliquée à la variole. Il y écrit : « Je n'ai jamais observé de cas mortels de cow-pox et comme il est clair que cette maladie laisse la constitution dans un parfait état de sécurité vis-à-vis de l'infection variolique, nous ne pouvons nier qu'un tel mode d'inoculation devra être adopté ».
A partir de 1800, la vaccination contre la variole va connaitre un véritable boom, à Londres d'abord, puis dans les pays voisins et, en 1802, les résultats sont tellement probants que le Parlement britannique va attribuer à Jenner une subvention de 10 000 livres sterling. En 1803, la « Royal Jennerian Society » voit le jour et la réputation de Jenner traverse les continents. Ainsi, parmi les admirateurs de Jenner, figure Napoléon.
Napoléon fait vacciner l’Aiglon
L’Empereur qui avait déjà été à l’origine de la création du Comité central de vaccine, installe personnellement le 7 mai 1804 la « Société pour l’extinction de la petite vérole ». Un comité est aussitôt formé regroupant 16 membres, Guillotin en étant le président et Husson le secrétaire. Cette institution a pour objectif de créer des antennes locales et de mettre en place des infrastructures de vaccination dans chaque département. Les préfets recoivent ainsi les premières directives pour assurer la généralisation de la vaccination. Puis à leur tour, les sous-préfets, maires et autorités religieuses sont avertis. La vaccination doit être générale et gratuite pour les pauvres.
Des vaccinateurs sont designés en même temps que les maires sont chargés d’établir les listes des enfants réceptifs à la vaccination. Cette mise en place de la vaccination dans les départements s’accompagne aussi de mesures coercitives: les maîtres d’école n’auront plus le droit, par exemple, de recevoir les enfants non vaccinés. La même recommandaion est faite aux recteurs d’université envers leurs élèves.
Si, sur le papier, tout semble prêt pour démarrer la campagne de vaccination, la réalité n’est pas aussi rose. Les préfets, notamment, se plaignent que l’Etat tarde à leur envoyer des subsides pour metre la campagne en route. D’un autre côté, les maires des petites communes rurales se montrent circonspects et beaucoup de parents font preuve de « beaucoup d’apathie pour leurs enfants ».
En fait, la vaccination contre la variole ne connaît un réel succès qu’en 1811 après que Napoléon, donnant l’exemple, fasse vacciner l’Aiglon par le Docteur Husson. Les préfets répercutent la nouvelle, tel Alexandre de Lameth, préfet du Pô, qui écrit à ses administrés : « Le bien de l’humanité et le devoir de se conformer aux intentions de Sa Majesté qui a mis le sceau de l’utilité à la vaccination en y assujetissant l’objet de ses plus tendres affections, l’espoir de la France, en un mot le Roi de Rome, doivent vous inspirer le désir de concourir par tous les moyens qui sont en votre pouvoir à la propagation d’une découverte qui doit être regardée comme un don du ciel ».
La campagne prend alors un réel essor, un nouveau-né sur deux étant vacciné dans près de la moitié des départements. La variole recule et le nombre de cas est inférieur de 75% à ce qu’il était en 1789. Le docteur Husson peut se réjouir : « Bientôt, nous allons toucher à l’époque où la petite vérole ne sera plus connue que pour le souvenir de la terreur qu’elle inspirait ».
Toujours des réticences
Au fil du XIXe siècle, pourtant, la vaccination a du mal à prendre son essor en France. Ainsi, en 1843, 1858 et 1880, plusieurs projets de loi ayant en vue une obligation vaccinale échouent. Cependant la vaccination est imposée à différentes catégories de la population : les enfants placés en nourrice et leur gardienne en 1874, les conscrits en 1876, les écoliers en 1882, les lycéens et collégiens en 1883, les étudiants en médecine et pharmacie en 1891. Et, depuis 1880, elle ne peut plus être effectué que par les seuls diplômés de médecine (jusque-là instituteurs, prêtres, religieuses la pratiquaient indifféremment.
En 1899, la découverte par Saint-Yves Ménard du maintien de l’activité du virus conservé dans de la glycérine permit les vaccinations en série et à distance de la génisse.
Le 15 février 1902, la loi sur la protection de la santé publique, en son article 6, a rendu la vaccination antivariolique obligatoire au cours de la première année de vie ainsi que les re-vaccinations des dixième et vingt-et-unième années. En 1917 André Fasquelle met au point, avec Lucien Camus la dessiccation sous vide de la pulpe vaccinale congelée, ce qui en permettra le conditionnement et l’emploi dans les pays tropicaux.
A partir de 1950, l’Organisation Mondiale de la Santé va entreprendre d’éradiquer la variole qui fait encore à cette date près de deux millions de victimes dans le monde, estimant qu’un taux de vaccination de 80% serait nécessaire pour y arriver. Mais les campagnes de vaccination à travers le monde tardent à faire leur effet et dans un rapport de 1967, l’OMS note : « Les campagnes d'éradication reposant entièrement ou essentiellement sur la vaccination de masse ont été couronnées de succès dans quelques pays mais ont échoué dans la plupart des cas. […] En Inde, cinq ans après une campagne nationale d'éradication entreprise en 1962 (55 595 cas), le nombre de notifications a été plus grand (84 902 cas) qu'il ne l'avait jamais été depuis 1958. Il aurait été extrêmement coûteux et logistiquement difficile, sinon impossible, d'atteindre des niveaux beaucoup plus élevés de couverture. Avec les moyens disponibles, il nous faut absolument changer de stratégie ».
En 1967, donc, l’OMS va mettre en place une nouvelle « stratégie de surveillance et d’endiguement » qui consiste en une recherche active des malades, une surveillance des contacts et leur isolement immédiat s’ils tombent malades. Cette nouvelle campagne d’éradication ne se fit pas toujours sans mal, par exemple en Inde où beaucoup d’Hindouistes s’opposaient à la vaccination par peur d'offenser Shitala Devi, la déesse associée à la variole.
L’éradication officialisée le 8 mai 1980
Après qu’un foyer d’infection ait été enregistré en Suède en 1963, la dernière réelle épidémie de variole en Europe se produisit en Yougoslavie en 1972, après qu’un jeune Kosovar ait contracté la maladie lors d’un pèlerinage à La Mecque. 38 personnes furent frappées par la variole et six en moururent. Mais l’épidémie fut endiguée en deux mois après que Tito ait instauré la loi martiale, imposé une quarantaine et imposé une campagne massive de vaccination. Le dernier cas de variole contracté de manière naturelle fut diagnostiqué à Merca en Somalie, le 26 octobre 1977.
L'éradication globale de la variole fut certifiée par une commission d'experts le 9 décembre 1979 et déclarée officiellement par l'OMS le 8 mai 1980 dans la résolution WHA33.3
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation