Mises en cause devant la justice, restriction drastique des conditions de prescription, rapport à charge de l’Igas, publications de chiffres alarmants par l’ANSM. Depuis 2014, les spécialités à base de valproate de sodium (Dépakine®, Dépakote®, Dépamide®, Micropakine® et génériques) sont sur la sellette pour leur iatrogénie chez le fœtus. Et de plus en plus de voix dénoncent leur trop large usage chez la femme enceinte au cours des dernières décennies. Si a posteriori le procès est facile, était-il si évident de faire mieux au moment des faits ? Et, désormais, alors que tous les clignotants sont au rouge, peut-on vraiment, si facilement que cela, se passer du valproate chez toutes les patientes ?
Commercialisé depuis 1967 pour le traitement de l’épilepsie puis indiqué pour le traitement de seconde ligne des troubles bipolaires, le valproate de sodium a été suspecté d’effets tératogènes dès le début des années 1980.
Une évolution progressive des connaissances
À cette époque, les publications pointent surtout le risque d’anomalie de fermeture du tube neural (spina bifida) mais sans que l’on puisse clairement l’attribuer spécifiquement au valproate ni même au traitement de l’épilepsie. Des cas de malformations congénitales à type de malformations cardiaques, dysmorphies faciales, etc., sont aussi rapportés mais les données restent très parcellaires. Au cours des années 1980-1990, les connaissances s’affinent et les présomptions se renforcent. La notion de syndrome fœtal au valproate fait son apparition tandis que le lien avec le spina bifida se confirme.
En 1986, une étude du Lancet conclut déjà que l’exposition au valproate durant le 1er trimestre de la grossesse est associée à une augmentation significative d’anomalie de fermeture du tube neural et suggère « que l’utilisation du valproate pendant la grossesse devrait être évitée ». Cependant, « nous n’avions à l’époque aucune idée de la fréquence de ces malformations et encore moins de leur effet dose-dépendant », précise le Pr Sophie Dupont, spécialiste de l’épilepsie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière (Paris). Et, globalement, « le risque apparaissait identique à celui décrit avec d’autres antiépileptiques de première génération comme la phénytoïne ou le phénobarbital ». Quant aux anti-épileptiques de nouvelle génération apparus dans les années 1990, « faute de recul, ils vont être peu employés au départ chez la femme enceinte par principe de précaution ».
À la fin des années 2000, la publication de données issues des registres de grossesse va changer la donne. Lancés 10 ans plus tôt, ces derniers ont permis de suivre de façon prospective l’ensemble des grossesses menées chez des femmes traitées par anti-
épileptiques dont certaines sous monothérapie par Dépakine. « La tératogénicité qui était connue va être confirmée et se révéler beaucoup plus importante qu’on ne le supposait (jusqu'à 25% pour de fortes doses) et beaucoup plus élevée que celle observée avec d’autres anti-épileptiques comme la lamotrigine ou le lévétiracetam pour lesquels le risque tératogène ne se révèle pas plus grand qu’en population générale ».
En parallèle, des doutes émergent quant à l’impact neuro-développemental du valproate chez les enfants exposés in utero. En 2004, un premier article suggère l’existence d’un déficit de QI verbal chez des enfants nés de mère traitées par valproate pendant leur grossesse.
En 2009 l’étude Nead enfonce le clou, retrouvant un retard de QI global d’environ 10 points chez les enfants exposés in utero, avec un effet dose dépendant. En 2013, une grosse étude de cohorte danoise apporte le coup de grâce en montrant que « l’utilisation maternelle de valproate durant la grossesse est associée à un risque significativement accru de troubles du spectre autistiques ». Ces données sur les troubles neuro-développementaux indétectables en anténatal et potentiellement très fréquents (jusqu’à 40 % des enfants exposés selon l’ANSM) vont changer les façons de faire. « Mais auparavant, tant qu’il n’y avait "que" la question de tératogénicité, on avait l’impression d’avoir le choix entre plusieurs médicaments faiblement tératogènes et que, finalement, quelle que soit l’option choisie, il y avait une petite part de risque. Pendant longtemps on considérait donc que le valproate était certes tératogène, mais que son utilisation chez la femme enceinte restait possible à faible dose sous couvert d’une surveillance échographique rapprochée. »
Un médicament efficace et facile à manier
À l’inverse, le valproate est très vite apparu comme un médicament efficace et facile à manier. En neurologie, « la Dépakine® est un anti-épileptique à très large spectre d’action largement prescrit car il marche dans tous les types d’épilepsie ». En psychiatrie, bien qu’indiqué officiellement en 2e intention, « la Dépakote® est un très bon thymo-régulateur qui a été beaucoup prescrit d’autant que le lithium n’est pas non plus dénué d’effets secondaires, notamment rénaux », reconnaît le Dr Jean-Yves Cozic, président de l’Association française de psychiatrie. Avec, à la clé, une très large utilisation, y compris chez la femme enceinte.
« La modification des pratiques est venue petit à petit avec un tournant dans les années 2010-2011. À partir de cette date on a évité au maximum les grossesses sous valproate en essayant au maximum de programmer les choses. Et très vite l’idée a été de ne plus en prescrire, non seulement chez la femme enceinte, mais aussi chez la petite fille, la jeune fille et la femme en âge de procréer ».
Autant de bonnes pratiques mises noir sur blanc par l’ANSM en mai 2015, suite à la réévaluation conduite par l’EMA. Depuis, les spécialités à base de valproate sont bannies officiellement chez les filles, adolescentes, femmes en âge de procréer et femmes enceintes, sauf en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux alternatives médicamenteuses. Pour aider les praticiens dans ce sens, la HAS a même publié fin 2015 des recommandations sur les alternatives au valproate.
Des alternatives non dénuées de risque
Pour autant peut-on, si simplement que cela, se passer du valproate chez toutes les patientes ? Dans certaines situations, l’exercice peut se révéler difficile, notamment en neurologie. En effet, si pour les épilepsies partielles qui représentent environ 70 % de l’ensemble des épilepsies, « il existe des alternatives au moins aussi efficaces, sinon plus, que le valproate, certains types d’épilepsie généralisée, notamment les épilepsies myocloniques juvéniles ne sont équilibrées que par la Dépakine ». Dans ces cas-là, « on va être obligé de déséquilibrer l’épilepsie le temps d’une grossesse, ce qui peut ne pas être sans conséquence, du moins pour la mère ». Une étude récente réalisée chez des femmes enceintes ayant commencé une grossesse sous valproate a ainsi montré que celles chez qui la molécule avait été arrêtée ou substituée par un autre anti-épileptique avaient un risque de crise comitiale multiplié par deux par rapport à celles restées sous Dépakine.
Les conséquences des crises sur le fœtus restent mal documentées. A priori, les crises partielles, absences, etc. sont sans danger. Pour les crises généralisées tonicocloniques, on pense désormais que la crise en soi n’induit pas de modification hémodynamique pour le fœtus. En revanche, il peut y avoir des conséquences traumatiques et l’on sait que l’existence de crises pendant la grossesse est associée à un plus petit poids de naissance éventuellement assorti d’un retard de croissance, « mais sans rien de catastrophique ». Pour la femme, en revanche, « les crises ne sont pas anodines et on peut mourir d’une crise généralisée tonicoclonique », alerte le Pr Dupont.
En psychiatrie, la donne est un peu différente puisque « la grossesse à plutôt tendance à améliorer les patientes bipolaires », explique le Dr Cozic, ce qui permet de modifier ou d’arrêter un traitement plus facilement. En revanche, « la programmation de la grossesse peut se révéler plus compliquée », notamment en phase maniaque ou une femme peut décider de façon impromptue de tomber enceinte.
Autre bémol : pour l’épilepsie comme pour les troubles bipolaires, les alternatives proposées ne sont pas forcément dénuées d’effets tératogènes même si le risque reste bien moindre que celui observé sous valproate. En cas de traitement par lithium mais aussi par topiramate les patientes doivent d’ailleurs être informées de ce risque. Par ailleurs, « certaines de ces alternatives sont des inducteurs enzymatiques induisant une efficacité moins importante des contraceptifs oraux », souligne la HAS.
Ainsi, si sur le papier la non-prescription de valproate chez la femme enceinte semble évidente, dans la pratique, les choses ont pu être plus compliquées.
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