Face à l'engouement pour la cigarette électronique ces dernières années, de quels arguments dispose le médecin pour la recommander aux fumeurs voulant arrêter le tabac ? Un essai randomisé et contrôlé britannique, le premier ayant comparé le vapotage au standard des substituts nicotiniques, apporte une preuve scientifique tangible d'efficacité dans « The New England Journal of Medicine ».
« C'est la plus belle étude comparant la vape aux substituts nicotiniques, commente le Pr Bertrand Dautzenberg, tabacologue à l'Institut Arthur Vernes. Le vapotage, ça marche en conditions de vie réelle. C'est une bonne information pour convaincre les autorités de santé réticentes et les professionnels de santé qui ont peur de l'utiliser pour le sevrage ».
Chez 886 fumeurs de 41 ans d'âge médian et consommant 15 cigarettes/jour en médiane recrutés d'après l'équivalent britannique de Tabac. infoservices, l'étude montre que la cigarette électronique est plus efficace que les substituts nicotiniques, avec un taux d'abstinence à 12 mois quasi doublé chez les vapoteurs (18,0 % versus 9,9 %). Si les maux de gorge et les irritations buccales étaient plus fréquents dans le groupe vapotage (65,3 % versus 51,2 %), les nausées étaient plus fréquentes dans le groupe substituts nicotiniques.
Dans le protocole de l'étude, il était prévu de fournir gratuitement un pack contenant une e-cigarette et 1 flacon de liquide (18 mg/ml de nicotine) dans le groupe vapotage (n = 438), - les recharges étant à charge -, et 3 mois de substituts nicotiniques dans le groupe standard (n = 446).
Association de substituts nicotiniques
L'ensemble des produits disponibles (patchs, gommes, pastilles spray nasal, inhaleurs, spray buccal, feuilles orodispersibles, microtabs) étaient proposés dans le groupe substituts nicotiniques et pouvaient être associés entre eux. Les participants du groupe e-cigarette étaient invités à tester differents dosages et parfums. Les deux groupes devaient s'engager à ne pas prendre le traitement non assigné au moins 4 semaines après leur sortie de l'étude.
Pour Bertrand Dautzenberg, la cigarette électronique est un outil efficace qu'il faut défendre dans le sevrage tabagique. « Il faut respecter le besoin de nicotine des fumeurs par le moyen qui plaît le plus, explique-t-il. La cigarette électronique a l'avantage d'associer la gestuelle et la dose de nicotine. En pratique, les tabacologues associent souvent cigarette électronique et substituts nicotiniques pour répondre aux besoins différents selon les situations ».
Qualité de l'accompagnement
Le tabacologue nuance néanmoins les conclusions sur la supériorité de l’e-cigarette et se dit surpris des mauvais résultats des substituts nicotiniques dans l'étude. « Il y a eu davantage de cravings dans le groupe substituts nicotiniques, relève-t-il. La dose de nicotine apportée par les substituts n'était pas suffisante ». Pour le tabacologue, l'accompagnement proposé dans l'étude, essentiellement psychologique, n'était sans doute pas optimal. « Dans les 4 premières semaines, il faut se consacrer sur l'éducation thérapeutique, poursuit-il. C'est essentiel de donner une dose suffisante de nicotine, si besoin en associant les produits. Il ne faut pas avoir peur de la nicotine ».
D'autres partisans de la cigarette électronique se montrent plus enthousiastes, comme Jacques le Houezec, tabacologue non médecin et formateur à l’e-cigarette auprès des professionnels de santé et des points de vente à Rennes. « Les boutiques font remonter des chiffres de sevrage bien supérieurs, de l'ordre de 60 % de sevrage, avance-t-il. C'est sans doute le reflet de la vraie vie, car en pratique la majorité des fumeurs arrêtent seuls. C'est dommage mais la nicotine des substituts nicotiniques est souvent diabolisée ».
Des esprits chagrins
La célèbre revue apporte un contrepoids à ses résultats difficilement contestables en donnant la parole aux détracteurs de la cigarette électronique dans deux éditoriaux. Dans le premier, Belinda Borrelli et George O'Connor de Boston rappellent que l'agence du médicament américaine, la FDA, a retoqué la cigarette électronique dans le sevrage tabagique, même si les Américains l'utilisent davantage que les produits approuvés.
Ces spécialistes s'inquiètent du taux élevé de poursuite de la e-cigarette à 1 an chez les sujets sevrés, près de 80 % (n = 63/79) dans le groupe vapotage par rapport à 9 % (n = 4/44) dans le groupe des substituts nicotiniques, alors que dans le même temps les effets à long terme de la e-cigarette ne sont pas bien étudiés. Pour Bertrand Dautzenberg, ce sont des considérations « de grincheux ». « Ce sont des effets microscopiques sans aucune mesure avec le tabac, explique-t-il. Toutes les études montrent que les toxines du tabac entraînent la mort cellulaire, ce que ne fait pas la vapeur. Les effets de la e-cigarette se résument à une inflammation liée à la nicotine, qui est un irritant. Les effets des parfums sont encore plus faibles que la nicotine ».
Quant à l'éditorial intitulé « Les saveurs dangereuses des e-cigarettes » signé par trois médecins rédacteurs de la revue, il s'alarme du phénomène de société outre-atlantique auprès des plus jeunes, mettant en avant le risque d'une porte d'entrée dans le tabagisme. « Ce point de vue est paradoxal, estime Bertrand Dautzenberg. La propagation de la e-cigarette est contemporaine d'un effondrement du tabagisme chez les jeunes aux États-Unis. Le vapotage est davantage le témoin d'un tempérament du jeune qui veut essayer un produit, qu'une réelle porte d'entrée dans l'addiction ».
NEJM. Hajek P et al. DOI:10.1056/NEJMoa1808779. Publié le 31/01/2019
DOI:10.1056/NEJMe1900484.
DOI/10.1056/NEJMe1816406.
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