LE QUOTIDIEN : Logique de silos, essoufflement de la recherche, manque de financements, de pilotage… Les constats qui ont guidé vos recommandations sont déjà établis par plusieurs rapports. Quels sont les freins qui nous empêchent de dépasser ces insuffisances ?
Pr JOSÉ-MANUEL TUNON DE LARA : Ces constats sont évoqués dans des rapports depuis de nombreuses années. Dans le préambule, nous reprenons d’ailleurs un extrait du Comité stratégique ministériel de 2009 qui pose exactement le même regard sur les difficultés de la recherche biomédicale française.
Le premier constat est celui du sous-financement. Malgré l’objectif européen de 3 % du PIB consacré à la recherche - dont 30 à 50 % sont généralement dédiés à la santé-, la France reste à 2,2 % d’investissements publics et privés, même si la partie publique a connu une forme de rattrapage avec la loi de programmation de la recherche. L’autre anomalie relève de l’organisation, avec un système très complexe, fait d’une superposition de structures locales et nationales aux gouvernances propres.
Notre analyse s’est nourrie des travaux précédents qui pointent ces dysfonctionnements. Comme son titre l’indique, ce rapport est un plan opérationnel avec des mesures à mettre en œuvre pour aboutir aux transformations nécessaires, sans créer de structure supplémentaire. Nous soulignons le besoin d’une agence nationale responsable des programmes et des financements et de sites locaux fédérant les acteurs de la recherche.
Nos mesures sont pratiques et visent la simplification. Toutes nos propositions sont opérationnelles, la priorité étant de mieux utiliser les moyens dont on dispose. La majorité de nos recommandations sont à coût constant. Très peu nécessitent de faire évoluer la loi et quelques-unes sont réglementaires.
L’Inserm ne doit plus être gestionnaire des équipes sur le terrain
Vous évoquez l’idée d’un « NIH à la française ». De quoi s’agit-il ?
Deux choses peuvent nous inspirer dans les modèles étrangers. Pour la recherche, il existe des agences avec une double mission, programmatique et de financement. C’est le cas aux États-Unis avec les Instituts nationaux de recherche en santé (NIH). L’idée de transformer l’Inserm en une telle structure n’est pas nouvelle. Déjà en 2008, l’évaluation de l’Inserm plaidait en ce sens. La création d’Aviesan (Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, NDLR) en 2008 était une tentative, mais cette alliance ne bénéficiait ni d’une reconnaissance institutionnelle, ni de financement.
Point important, les agences américaines en charge des financements nationaux ne remplissent pas la fonction de coordinateur local : 80 % des financements sont perçus par des équipes qui ne relèvent pas des NIH. Si l’Inserm joue ce rôle programmatique et de financement, il ne doit plus être gestionnaire des équipes sur le terrain. L’institut doit s’engager sur la stratégie et au niveau national et délaisser la gestion et le local. C’est un mouvement de bascule général : la transformation des agences de recherche en structure de financement concerne la santé, mais pas seulement.
Notre proposition suppose que les équipes puissent être gérées par les universités, qui assurent déjà cette fonction pour une grande partie des chercheurs. Elles doivent désormais être en capacité de jouer ce rôle de gestionnaire au meilleur niveau.
Cette mutation implique une stratégie de recherche propre à chaque site, à l’image de ce qui se fait à l’étranger où la recherche est plus intégrée car les hôpitaux universitaires sont une composante de l’université. Ils sont plus petits que nos CHU mais plus agiles et plus ciblés. Nous pensons aux Advanced Medical Centers des Pays-Bas ou au Karolinska Institutet en Suède. Le niveau d’intégration entre soins d’excellence, enseignements, recherche et innovation est très fort.
Nous proposons un cursus pour accéder à la carrière hospitalo-universitaire avec un financement de la mobilité et de la thèse
Vous recommandez à ce sujet une révision de la convention des CHU ?
Ce système n’a pas bougé depuis la création des CHU en 1958. Si quelques sites ont une approche plus intégrée des soins et de la recherche, nous pouvons faire mieux. Une tentative en faveur d’une recherche translationnelle, avec une relation forte entre le labo et le lit du malade, a été menée avec la création des instituts hospitalo-universitaires (IHU).
Revoir la convention des CHU permettrait de relever de nouveaux défis et notamment de s’ouvrir à d’autres disciplines. Une majorité des innovations se jouent sur le numérique, l’IA, l’intégration des sciences humaines et sociales, de l’économie, etc.
En parallèle, nous préconisons des contrats d’engagements pour la recherche. À côté du noyau dur constitué par les universités et les CHU, tout un réseau d’acteurs partenaires (Inserm, CNRS, Inria, les Centres de lutte contre le cancer et les autres hôpitaux, la médecine libérale, les réseaux de soins, les collectivités, les industriels, etc.) doit être associé dans un contrat avec l’État. Ce contrat de recherche et d’innovation biomédicale serait un bon moyen de centrer les sites sur des spécialités de haut niveau. Tout le monde ne peut pas tout faire.
Le rapport aborde aussi l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires. En quoi l’organisation proposée apporterait-elle des réponses ?
Il y a actuellement une crise, avec un mouvement de grève lors des examens cliniques objectifs et structurés (Ecos). La profession est au bout du rouleau. Les hospitalo-universitaires (HU) sont très attachés à leurs trois missions de soins, d’enseignement, et de recherche. Mais ils sont absorbés par les tâches hospitalières et administratives, ce qui les écarte de leurs missions académiques de formation et de recherche.
Les mesures d’attractivités du Ségur étaient incomplètes. Les HU doivent bénéficier de période de temps préservé pour se consacrer à la recherche. Cela se joue à l’échelon local, d’un service ou d’un pôle, mais aussi à l’échelon national. Il va falloir répondre à l’ambition de passer de 10 000 à 16 000 étudiants, avec un encadrement qui est plus prenant.
Il faut aussi proposer des parcours attractifs. Les postes de chefs de clinique ne sont actuellement pas pourvus. Les jeunes plébiscitent les postes d’assistants hospitaliers qui donnent accès à la pratique libérale et au secteur 2, sans remplir de mission universitaire. Les nouvelles générations ne se projettent plus dans l’hôpital public ou la recherche.
Nous proposons un cursus pour accéder à la carrière hospitalo-universitaire avec un accompagnement des internes dans une sorte de fusion entre clinicat et statut de praticien hospitalier universitaire (PHU). Il faut y associer un financement de la mobilité et de la thèse. C’est une manière de sécuriser cette voie et de garder nos talents.
Il est par ailleurs nécessaire de simplifier le professorat et d’ouvrir ce secteur à d’autres compétences, en biologie par exemple. C’est un choix stratégique. Pour maintenir les forces vives, il faut préserver les HU.
Se priver du numérique serait de la folie, les choses bougent
Vous appelez également à une simplification de la recherche clinique. Quelles mesures proposez-vous ?
L’enjeu est double : raccourcir le temps de réalisation des essais cliniques, en simplifiant les démarches administratives et réglementaires, mais aussi s’adapter aux nouvelles méthodes avec une attention aux questions éthiques et de protection des personnes. On assiste à une mutation dans la manière dont les essais sont conduits. Le numérique et l’IA font avancer la recherche clinique. Nous devons être prêts.
Mais la simplification vise aussi à répondre à la question du sous-financement privé. Il faut créer les conditions pour que les industriels aient envie de travailler, d’investir, de mener des essais en France. L’Espagne l’a fait en devenant un leader européen des essais en quelques années. Lors de nos auditions, des interlocuteurs ont souligné les hésitations à investir. Les questions de répartition des bénéfices de la propriété intellectuelle sont par exemple l’objet de longues discussions avec les structures de recherche, ce que les industriels ne comprennent pas.
Vous plaidez pour une anticipation des mutations du numérique. Faut-il associer plus étroitement les experts de ces domaines à la recherche médicale ?
C’est essentiel ! Se priver du numérique serait de la folie. Les choses bougent. Mais un effort reste à faire sur la santé publique. Nous préconisons la création de quatre ou cinq pôles de formation et de recherche, intégrant toutes les spécialités de santé publique à l’IA et au data management. Les approches multidisciplinaires sont indispensables.
Nous nous dirigeons vers une nouvelle médecine, avec beaucoup d’impasses supprimées grâce aux nouvelles technologies. Si elle veut produire les futures innovations, la France ne doit pas tarder à préparer ses hôpitaux et ses chercheurs.
Repères
Novembre 2008
Rapport de l’Inserm sur l’avenir de la recherche dans le domaine des sciences de la vie et de la santé
Juillet 2018
Rapport Igas « Les personnels enseignants et hospitaliers, 60 ans après l’ordonnance de 1958 : propositions d’évolution »
Mars 2021
Recommandations de l’Académie nationale de médecine pour réformer la recherche en sciences biologiques et en santé
Juillet 2021
Rapport de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur le financement et l’organisation de la recherche en biologie
Janvier 2023
Rapport d’Alain Fischer pour Terra nova « La recherche médicale en France : bilan et propositions »
Janvier 2023
Rapport de la Cour des comptes sur la gestion de l’Inserm
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