Alors que le président Emmanuel Macron s'est déplacé hier à l'IHU Méditerranée pour rencontrer le Pr Didier Raoult, des questions émergent sur la régularité des essais menés dans le centre, au-delà de la méthodologie.
L'infectiologue iconoclaste a-t-il pris trop de libertés avec le Code de la santé publique dans ses recherches sur l'efficacité de l'association hydroxychloroquine/azithromycine dans le traitement de l'infection par le SARS-CoV-2 ? Selon les experts consultés par « Le Quotidien du Médecin », les chercheurs de l'IHU Méditerranée Infection se seraient exonérés d'un certain nombre d'étapes réglementaires et déontologiques. Consultée, l'agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) précise qu'elle a demandé des éléments d'explication aux chercheurs marseillais.
La principale pierre d'achoppement concerne la qualification des travaux de l'équipe du Pr Raoult menés sur 80 patients. Dans le titre de leur étude publiée le 27 mars dernier, les chercheurs de Marseille précisent qu'il s'agit d'une étude observationnelle portant sur des patients, or plusieurs observateurs estiment qu'elle rassemble toutes les caractéristiques d'un essai clinique de médicament, recherche interventionnelle qui implique le respect d’obligations réglementaires particulières.
Trois catégories de recherches
Mais d'abord, quelques éléments de contextes : depuis 2016, avec l’entrée en vigueur de la « loi Jardé » les recherches impliquant la personne humaine (RIPH) sont organisées en trois catégories : les recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle (RIPH1), les recherches interventionnelles qui ne portent pas sur des médicaments et ne comportent que des risques et des contraintes minimes (RIPH2) et les recherches non interventionnelles dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle, sans procédure supplémentaire ou inhabituelle (RIPH3).
En qualifiant ses recherches d'observationnelles (RIPH3) et non d'interventionnelles (RIPH1) l'équipe du Pr Raout s’exonère de l’autorisation qui doit être donnée par l’ANSM après un examen détaillé, de la sécurité de l’essai et de sa méthodologie. De plus, et quelle que soit la catégorie de recherche, le protocole aurait dû être soumis à Comité de protection des personnes (CPP) institué par la loi.
Or sur ce point, le travail du Pr Raoult et de ses collègues ne rentre pas dans les clous, puisque le protocole n'a été révisé que par un comité d'éthique local interne à l'IHU dirigé par le Pr Raoult et que l'ANSM n'a donc pas été avisée comme elle l’est par le CPP, même pour les recherches observationnelles.
« S’il s’agit d’un essai de médicament sur l’être humain, le comité d'éthique local n’est juridiquement pas compétent pour autoriser ce travail, résume Philippe Amiel, juriste, membre du Comité d’évaluation éthique de l’Inserm, et auteur d'un livre sur le sujet*. « Pour le juriste, l’article de l’équipe du Pr Raoult ressemble fort au compte rendu d’une recherche impliquant la personne humaine. Il faut observer que les auteurs affirment que leur étude est conforme à la déclaration d’Helsinki. Or cette déclaration est le texte de l’Assemblée médicale mondiale qui fixe, précisément, les principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains. Ce qui laisse penser que les auteurs sont conscients que leur étude est bien une telle recherche. C’est assez troublant ».
Si tel est le cas, ce que l'ANSM devra évaluer, la recherche serait tout bonnement une expérimentation illicite sur l’être humain, une situation devenue une rareté au XXIe siècle malgrè un exemple récent retentissant.
Mais les auteurs peuvent aussi avancer que leurs travaux ne sont jamais qu’une étude rétrospective sur données, c'est-à-dire le compte rendu d’une série de cas cliniques concernant des malades pris en charge de manière protocolisée, mais sans intention d’expérimenter. Ils peuvent appuyer leur argumentaire sur le décrèt du 25 mars dernier qui encadre la prescritpion hors AMM de l'hydroxychloroquine dans la prise en charge des cas de Covid-19.
Leur étude échapperait alors au régime des RIPH qui suppose des actes pratiqués sur les personnes à des fins de recherche. « La limite entre ces deux démarches peut se discuter », alerte Philippe Amiel, qui estime « qu’un débat, avec les informations utiles fournies par les auteurs, devra probablement avoir lieu ultérieurement. » Ce débat intéressera les chercheurs en biomédecine confrontés à des situations d’urgence sanitaires. Le point, en effet, qui dépasse le cas des équipes de Marseille, est de savoir si l’urgence justifie qu’on s’affranchisse des règles légales protectrices des personnes, mais aussi, par l’examen préalable des méthodologies d’étude, de la science.
Que peut-il se passer à présent ? SI l'ANSM décide de s'emparer du dossier, elle pourrait le porter devant la justice. Les auteurs d'expérimentations illicites sur l'être humain sont, selon l’article 223-8 du Code pénal, passible d'une peine de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
« Nous sommes là pour soigner les patients », répond l'IHU
Contacté par le « Quotidien », l'IHU Méditerranée Infection n'a pas souhaité commenter. « Nous sommes là pour soigner des patients, les traiter pour leur pathologie ne justifie pas que l'on fasse appel à un comité de protection des personnes », nous a-t-il été répondu. Dans un communiqué du 22 mars, 6 médecins de l'IHU, dont le Pr Raoult, expriment leur souhait de considérer l’association hydroxychloroquine (200 mg x 3 par jour pour 10 jours) + azithromycine (500 mg le 1er jour puis 250 mg par jour pour 5 jours de plus) comme le traitement standard des patients atteints de Covid-19. Dans de nombreuses communications vidéos, le Pr Raoult a par ailleurs répété qu'il considérait les données cliniques actuelles suffisantes pour généraliser cette prescription.
Des Cobayes et des hommes, éditions des Belles Lettres, 2011
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