Si la grossesse s’associe avant tout à des images de bonheur, elle n’en constitue pas moins une période de vulnérabilité psychique. Les pathologies psychiatriques antérieures exposent au risque de rechute et posent la question de l’éventuelle toxicité des médicaments. Et celles survenant sans antécédents pendant la grossesse et le post-partum soulèvent le problème de leur dépistage et de leur prévention. Une période complexe, qui a fait l’objet d’une session lors du congrès Infogyn organisé à Pau du 5 au 7 octobre derniers.
Dans le sillage des risques malformatifs foetaux associés à la prise de valproate pendant la grossesse, la question de la prescription d’autres médicaments à visée psychotrope a été passée au crible par une revue de la littérature. Les publications ont été très nombreuses ces dernières années, mais il est souvent difficile de tirer des conclusions définitives, du fait de l’hétérogénéité des pathologies, des traitements et de leurs modalités d'administration dans les différentes études.
Psychotropes et grossesse : un risque faible mais non négligeable
De nombreuses données ont été recueillies sur les IRS/IRSN qui pourraient concerner jusqu’à 8 % des femmes enceintes. La relation entre la prise d’IRS/IRSN et la survenue d’un autisme chez l’enfant reste un sujet d’actualité, depuis qu’en 2010 une recherche québécoise a mis en évidence un risque multiplié par deux lorsque la mère a pris des antidépresseurs aux 2/3e trimestres, avec toutefois un risque absolu faible (1.2 vs 0.7 %). Les résultats sont similaires dans une méta-analyse menée par l’ANSM ; mais le risque augmente aussi lorsque les mères ont pris le traitement avant même la grossesse, soulevant la question du rôle du terrain. Des analyses de cohortes plus récentes ne retrouvent pas de lien et une autre étude québécoise montre un risque moins élevé (0.34 % vs 0.2 %), et uniquement lorsque l’antidépresseur est pris au cours des deux derniers trimestres. Les nouvelles sont plutôt rassurantes en ce qui concerne le risque de malformations fœtales. Avec le lithium, le risque de malformation cardiaque est plus faible que ce qu’on pensait et seulement pour des doses supérieures à 900 mg/jour. Aucun risque malformatif n’a été mis en évidence avec les antidépresseurs ou d’autres antipsychotiques. Le risque d’HTAP était plutôt inattendu (rôle de la sérotonine ?), avec un risque absolu faible (1 enfant sur 300) mais responsable d’une pathologie sévère. Les IRS/IRSN augmentent le risque hémorragique dans le post-partum, surtout lorsqu’ils ont été pris jusqu’au dernier mois avant l’accouchement et les équipes obstétricales doivent en être prévenues. Les nouveau-nés sont aussi un peu plus souvent admis en soins intensifs pour problèmes respiratoires. La prématurité est plus fréquente mais serait surtout liée à la pathologie psychiatrique. La grande inconnue reste le devenir à long terme de ces enfants chez qui on observe un peu plus de dépression et d’hyperactivité avec déficit de l’attention mais où rentrent aussi en compte d’éventuels troubles de la parentalité.
« La convergence des données reste troublante et la part respective de la pathologie et du médicament reste en suspens. Toutefois, le risque est faible et doit être mis en perspective avec les conséquences potentielles de la pathologie mentale, rechute, mauvais suivi, prématurité, altération du lien de parentalité, conclut le Dr Béatrice Guyard-Boileau (CHU de Toulouse). Il faut toutefois toujours essayer de réduire l’exposition à ces traitements des femmes susceptibles d’être enceintes, et se méfier des indications élargies aux problèmes de bien-être comme par exemple la phobie sociale, le burn-out, le syndrome prémenstruel pour lesquelles le rapport bénéfice/risque n’est pas vraiment établi ».
Dépister les troubles psychiatriques dans le post-partum : où s’arrête le normal ?
En pratique, le médecin risque de se trouver devant deux situations après l’accouchement : soit la décompensation d’une pathologie préexistante, soit la survenue de troubles psychiatriques chez une femme sans antécédents connus.
Le post-partum est une période à haut risque de rechute, qu’il s’agisse des troubles anxiodépressifs, ou bipolaires (rechute dans 25 à 50 % des cas), de psychoses, etc. En cas d’antécédent de psychose puerpérale lors d’un accouchement précédent, il faut s’assurer qu’il s’agissait bien d’un épisode bref, non d’une maladie bipolaire récidivante dans le post-partum. Dans ce dernier cas, il faut poursuivre le traitement pendant la grossesse. En cas d’épisode psychotique, le traitement préventif est inutile pendant la grossesse et sera prescrit juste après l’accouchement.
L’apparition de troubles psychiatriques dans le post-partum concernerait 20 à 25 % des jeunes parents (y compris le père !). La majorité de ces pathologies peuvent être repérées et prévenues avant l’accouchement, sur des éléments de vulnérabilité psychique, des facteurs obstétricaux (grossesse précoce ou tardive, non désirée ou pathologique) ou environnementaux (pays ou langue étrangère, isolement familial).
« Dans les suites de couches, il faut être vigilant sur différents signes d’alerte, qu’on attribue trop facilement à des réactions “normales” après l’accouchement en l’absence d’antécédents psychiatriques », insiste le Dr Ludivine Franchitto (pédopsychiatre, CHU de Toulouse). Ainsi, les troubles du sommeil sont “acceptables” une ou deux nuits, mais pas au-delà car ils sont à la fois souvent le premier symptôme mais aussi un facteur de risque de trouble psychiatrique. De même, un baby-blues durant plus d’une semaine, d’une intensité inhabituelle ou avec des manifestations hypomaniaques masque souvent le début d’une dépression postnatale. Les phobies d’impulsion chez une mère de personnalité fragile ou isolée, surtout lorsque le bébé est difficile, peuvent entraîner des troubles anxieux ou dépressifs envahissants susceptibles de compromettre la relation mère/enfant. Le stress post-traumatique après un accouchement difficile, ou vécu comme tel, se traduit par une hébétude, une sidération chez une femme qui raconte en boucle son accouchement dans les moindres détails. Il doit se résoudre en quelques heures ou quelques jours par une attitude positive du soignant validant le vécu émotionnel, même si le stress semble disproportionné par rapport au déroulement de l’accouchement. Le délire puerpéral n’est pas vraiment « un coup de tonnerre dans un ciel serein » et doit être suspecté devant des symptômes fluctuants pendant 3 à 4 jours, insomnie, labilité émotionnelle, anxiété non rassurable, questions incessantes et répétées, parfois une confusion ou une désorganisation. Les troubles de la relation parents/bébé sont assez complexes à repérer, car notre subjectivité entre souvent en jeu. Des parents qui n’assurent pas les soins primaires de façon adaptée et éprouvant des sentiments négatifs, irritables, sans amélioration malgré les mesures de soutien doivent être évalués rapidement, de façon pluridisciplinaire.
Syndrome des ovaires polykystiques chez l’adolescente : un mythe ?L’adoption de nouveaux critères de définition du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) en 2003 – au moins deux des critères suivants : dysovulation, hyperandrogénie, ovaires polykystiques ou au volume augmenté – a fait s’envoler la prévalence du SOPK. Certes, ce syndrome représente la cause la plus fréquente d’infertilité féminine. Néanmoins, on tend actuellement vers un surdiagnostic, en particulier chez les adolescentes, ce qui est sujet à caution, d’après le Dr Christian Jamin (Paris). Les critères diagnostiques sont peu pertinents chez l’adolescente : les troubles des règles, l’anovulation et les kystes ovariens sont physiologiques dans les deux ans qui suivent les premières règles, le compte folliculaire et le volume ovarien sont peu fiables. D’autant que souvent, à cet âge des troubles du comportement alimentaire interfèrent avec les signes cliniques et biologiques. On en reste donc à des éléments de suspicion, tels que la persistance d’irrégularités menstruelles deux ans après les premières règles, les antécédents familiaux, l’hyperandrogénie biologique, l’acanthosis nigricans, le morphotype androïde et la puberté prématurée. La prévalence des SOPK passerait de 30 % à 18 ans à 6 % à 25 ans : surdiagnostic ou guérison spontanée ? Le traitement doit se limiter à la prise en charge d’un éventuel hirsutisme associé à une contraception si elle est demandée, aucune donnée ne permettant d’évaluer l’impact des traitements sur l’évolution des SOPK. Par contre ces derniers surviennent le plus souvent chez des jeunes filles obèses ou en surpoids, avec intolérance au glucose dans 30 % des cas. Le risque est essentiellement une survenue de troubles métaboliques et de diabète. « La réduction pondérale par l’activité physique et un rééquilibrage de l’alimentation donne d’excellents résultats sur l’hyperandrogénie et la régularisation des cycles, mais on se heurte toujours à la difficulté d’obtenir l’adhésion des adolescentes à une telle approche », constate le Dr Jamin.
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