Pr Pierre-Louis Druais : « Pour des recos plus pragmatiques »

Publié le 28/03/2019
Officiellement nommé ce jeudi vice-président de la commission recommandations, pertinence, parcours et indicateurs de la HAS, le Pr Pierre-Louis Druais a accordé un entretien exclusif au Généraliste. Il présente son projet pour adapter les recommandations à la pratique de la médecine générale, centrées sur le patient. Un défi pour l’ancien président du Collège de la médecine générale, à l’heure où l’hospitalo-centrisme semble plus fort que jamais.
Druais

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Crédit photo : C.Gattuso

Comment un généraliste se retrouve-t-il propulsé à la HAS ?

Pr Pierre-Louis Druais : Le Pr Dominique Le Guludec, présidente du collège de la HAS, a souhaité qu’un généraliste puisse intégrer la Haute autorité pour piloter la commission recommandations, pertinence, parcours et indicateurs, sous sa présidence directe. Cette proposition manifeste sa reconnaissance envers le travail du Collège de la médecine générale depuis 10 ans. Je n’ai pas voulu laisser passer l’occasion de faire évoluer les choses, car nous réclamons depuis des années des recommandations plus pragmatiques et des indicateurs de pertinence mieux fléchés. Je vais utiliser mon expérience de généraliste qui exerce depuis 42 ans pour défendre la pratique. Comme ma présidence au Collège arrivait à échéance en décembre et que Paul Frappé était prêt à me remplacer, je suis parti tranquille.

Pouvez-vous nous dire en quoi va consister le job ?

Pr P.-L. D. J’assurerai avec le Pr Dominique Sirinelli, PU-PH radiologue, la co-présidence de cette commission. Elle sera composée d’une vingtaine de personnes de disciplines emblématiques (un cardiologue, un neurologue, un biologiste, un radiologue, trois généralistes), des professionnels de santé non médecins et des patients. Nous nous réunirons une fois par mois. Cette commission recevra tous les documents, recos, fiches de parcours, de synthèse et productions importantes de la HAS. Elle les analysera, les critiquera et les validera pour les proposer au collège de la HAS après échanges avec les parties prenantes. Un travail important sera effectué en amont par les services, sur les indicateurs, les parcours et les protocoles de coopération. Mon premier constat, c’est que ça bosse beaucoup à la HAS, avec des méthodes rigoureuses qui freinent parfois l’élaboration des documents.

Vous avez souvent soutenu que les recommandations de la HAS étaient inadaptées. Comment changerez-vous la donne ?

Pr P.-L. D. Il va falloir être un peu plus pragmatiques, cibler le bon niveau d’information et rédiger les recos au bon format si nous voulons qu'elles soient applicables et que les médecins s’y intéressent. Nous devons passer de l’evidence based medicine à l’evidence based practice. L’EBM énonce ce qu’il est bon de faire en tenant compte des données de la science mais on ne peut pas se limiter à cela. Dans la vraie vie, c’est une autre histoire qui se joue. Il faut tenir compte des comorbidités, de la complexité bio-psycho-sociale du patient, de son point de vue et de son environnement. Et tout cela, il faut le hiérarchiser. Il faut arrêter de produire des recommandations qui relèvent de soins de deuxième voire de troisième ligne et d'essayer de les faire entrer au chausse-pied dans les stratégies de soins de premier recours.

Pouvez-vous préciser ?

Pr P.-L. D. La valeur prédictive des signes n’est pas la même selon que les personnes sont vues à l’hôpital ou en ville. Un patient qui consulte un généraliste pour une migraine banale n’a pas besoin d’une imagerie. La probabilité qu’il ait une tumeur cérébrale est de l’ordre du millionième. Dès que ce patient consulte à l’hôpital, cette probabilité passe à 1 pour 10 000 car s’il consulte un spécialiste, c’est qu’un élément nouveau s’est ajouté à sa symptomatologie. Vouloir appliquer aux soins primaires une démarche légitime à l’hôpital est une erreur.

Vous n'avez pas toujours affiché beaucoup d'enthousiasme pour les parcours de soins par pathologie tels que les propose la HAS. Avez-vous changé d'avis ?

Pr P.-L. D. J’ai l’intention d’implémenter une nouvelle approche du parcours de soins, considérant le contexte bio-psycho-social du patient – ainsi que nous l’avons proposée l’an dernier au Collège de médecine générale. Nous avions défini trois types de parcours. Le parcours de vie, centré sur les besoins de la personne dans son environnement éducatif, professionnel, familial. Ensuite, le parcours de santé qui comprend les soins et la prévention à tous les stades, de primaire à quaternaire (celui de la surmédicalisation), les réponses médicales et médico-sociales. Enfin, on distingue aussi le parcours de soins centré sur la maladie, qui répond aux besoins sanitaires qu’ils soient ambulatoires ou hospitaliers. Au final, si on évalue tous ces aspects, on peut répondre aux besoins du patient. Il faut considérer le fardeau que représente pour le lui de devenir un sujet de soins, avec la quantité d’examens que sa pathologie engendre et le coût financier induit.

La pertinence des soins s'est imposée ces dernières années. Quelles conséquences pour la médecine générale ?

Pr P.-L. D. Beaucoup de documents de qualité ont déjà été produits par la HAS sur la pertinence. Il y manque de mon point de vue la notion de valeur du soin qui intègre le bien-être et la santé du patient, la délivrance de ce qui est nécessaire, accepté par le patient, cliniquement efficace, socialement équitable et responsable vis-à-vis des ressources limitées à disposition. Sans oublier que la pertinence des soins est une notion évolutive, ce qui était valide hier peut ne plus l’être demain.

Que peuvent apporter les indicateurs aux généralistes ?

Pr P.-L. D. Il n’est pas facile d’établir des indicateurs, il existe des critères internationaux pour en définir la pertinence et à la HAS, de nombreuses personnes travaillent assidûment sur ce sujet. Mais une fois l’indicateur défini, la difficulté est sa mise en œuvre. Un indicateur peut être pertinent en soins primaires mais pas en soins secondaires. Pire, il peut être pertinent à certaines étapes de l’histoire de santé du patient et pas à d'autres. Par exemple, une infection urinaire fébrile un samedi soir chez une femme sans antécédent particulier et qui refuse un passage aux urgences justifie une antibiothérapie d’emblée sans ECBU préalable. Cette prise en charge n’est plus pertinente si cette même histoire se produit un lundi matin. Dans un contexte de pyélonéphrite, l’indicateur EBCU s’il existait devrait donc être contextualisable. Nous devons être prudents dans l'élaboration des indicateurs. L'expérience de la ROSP a montré que cet exercice était difficile.

En 2015, vous rendiez un rapport sur la valorisation de la médecine générale. Comment jugez-vous les projets de réforme ?

Pr P.-L. D. Il y a loin de la coupe aux lèvres et certains signaux sont inquiétants. L’hospitalo-centrisme veut étendre son emprise au prétexte que les généralistes ne sont plus assez nombreux et n’ont plus le temps... On voit des propositions délirantes, avec certaines consultations de surveillance (immunothérapie) qui seraient réalisées par des infirmières hospitalières dans le cadre de protocoles. C’est typiquement ce qu’il ne faut pas faire. Les politiques et en particulier les députés sont particulièrement toxiques. Ils n’ont aucune notion de l’organisation des soins et proposent n’importe quoi. On l'a vu dans la loi de santé avec la possibilité donnée aux pharmaciens de délivrer pour une pathologie bénigne des médicaments soumis à prescription préalable. Il y a un conflit d’intérêts, on ne peut pas être le prescripteur et le délivreur. Par ailleurs, qu'est-ce qu'une pathologie bénigne ? Il y aura des loupés, et cela posera des questions de responsabilité. à une époque où les médecins sont déjà débordés, cette solution apporte de la complexité dans le suivi des patients. Le politique est en train d’ubériser la médecine et il faut que cela cesse.

Propos recueillis par le Dr Linda Sitruk et Christophe Gattuso
HAS

Source : lequotidiendumedecin.fr