Pénuries de médicaments : quel impact sur la santé des patients ?

Publié le 13/03/2020
Article réservé aux abonnés

Alors que les pénuries de médicaments se multiplient, leurs conséquences iatrogènes restent floues. Afin d’y voir plus clair, plusieurs centres de pharmacovigilance lancent une étude dédiée, tandis que de premiers signalements isolés suggèrent déjà un impact réel sur la santé des patients.

Medoc

Medoc
Crédit photo : GARO/PHANIE

Quels sont les effets iatrogènes des changements ou arrêts de traitement, induits par les tensions ou ruptures d’approvisionnement ? La question était jusqu’ici en suspens. Et pour cause : « en l’état, il n’existe aucune donnée, aucune littérature, ni en France, ni ailleurs », confie le Dr Aurélie Grandvuillemin, pharmacienne responsable adjointe du centre de pharmacovigilance (CRPV) de Dijon et vice-présidente du réseau des CRPV. Une pièce manquante dans l’insoluble puzzle des ruptures de stock, mais dont on devrait mieux appréhender les contours début 2021. Les centres régionaux de pharmacovigilance ont en effet lancé une étude, baptisée CIRUPT, visant à mesurer l’impact des pénuries médicamenteuses sur la santé des patients (voir encadré).

D’ores et déjà, les exemples épars de signalements recensés par les CRPV soulignent que les pénuries sont loin d’avoir des effets anodins. Elles peuvent déboucher sur une issue dramatique, suscitant alors une alerte immédiate de l’ANSM, comme cela s’est produit au printemps dernier après le signalement par le CRPV de Lille du décès d’un patient victime d’un surdosage. Suite à la pénurie de Belustine 40 mg (lomustine), un anticancéreux oral commercialisé en boîte de 5 gélules, la pharmacie lui avait dispensé en remplacement une lomustine destinée au marché allemand : le Cecenu 40 mg, présenté en boîte de 20 comprimés. Malgré les explications, le patient a ingéré tout le contenu de la boîte, comme à son habitude, d’où un surdosage.

Des substitutions à risque

Plus récemment a été signalé le cas d’un enfant de 4 ans souffrant de laryngite : le Solupred se trouvant en rupture et le pédiatre étant injoignable, le pharmacien a substitué la prescription par du Célestène 0,05 % en gouttes. Suite à une erreur de calcul d’équivalence de la posologie, l’enfant a été exposé à plus de deux fois la dose maximale pendant quatre jours et dû être hospitalisé après aggravation de son état pour infection sévère. La même pénurie a conduit le père d’un enfant opéré des végétations à confondre le flacon de bétaméthasone Biogaran donné en substitution du Solupred avec celui, très ressemblant, de Topalgic, un antalgique opiacé du même laboratoire, et à lui en administrer 50 gouttes. L’enfant s’en est heureusement tiré avec une forte somnolence. Les CRPV ont également recensé deux cas d’aggravation d’endométriose et une mastose par arrêt de traitement, suite à la pénurie, non référencée mais réelle, de chlormadinone…

Ainsi, qu’il s’agisse de la substitution d’un médicament pour un produit de même classe ou de classes pharmacologiques différentes, d’un changement de dosage, de forme galénique ou de conditionnement, ou tout simplement d’un arrêt de traitement, « une rupture de stock peut conduire à plusieurs situations différentes comportant un risque médical », résume le Dr Grandvuillemin.

Une première étude dédiée

Afin de mesurer l’impact des pénuries médicamenteuses sur la santé des patients, trois centres régionaux de pharmacovigilance (Angers, Dijon et Limoges) pilotent l’étude prospective CIRUPT (Conséquence Iatrogène d’une RUPture de sTock) et invitent tous les médecins, libéraux compris, à y contribuer en signalant tout effet indésirable ou accident constaté dans un contexte de rupture de stock. « Même lorsque le traitement concerné a été prescrit par un spécialiste, à l’hôpital, même si le médecin traitant n’est pas, contrairement au pharmacien, toujours premier au fait d’une pénurie, c’est vers lui que le patient se tourne en premier lieu lorsque ça ne va pas », souligne le Dr Grandvuillemin.

Déclaration Les déclarations peuvent se faire via le portail national mis en place en 2017 (signalement.social-santé.gouv.fr) ou sur le site des centres régionaux de pharmacovigilance. « Mail, copie de courrier ou même coup de fil, peu importe la forme », précise la pharmacologue, consciente que les médecins n’ont pas forcément le temps de s’embarrasser d’un surplus de paperasse. « Tout le spectre des effets iatrogènes nous intéresse. » L’étude CIRUPT sera conduite jusqu’en décembre prochain et donnera lieu à une publication en 2021. Sans prétendre être exhaustif, « il nous paraît important de pouvoir contribuer à une meilleure connaissance de l’état des lieux dans le contexte de pénuries. »

Claudine Proust

Source : lequotidiendumedecin.fr