Qu’est-ce que le repositionnement et quel est son intérêt ?
Pr Patrick Dallemagne : Le repositionnement est une alternative au drug design – conception de novo de molécules thérapeutiques – qui consiste à proposer, dans une nouvelle indication, un médicament d’abord développé pour une autre utilisation. Deux types de molécules peuvent être concernés : des principes actifs déjà commercialisés et d’autres non autorisés mais déjà testés dans une première indication.
Le principal intérêt du repositionnement est qu’il permet d’accélérer la mise sur le marché. Et ce, en évitant d’avoir à mener de nombreuses investigations requises pour l’AMM, à l’instar des études toxicologiques – déjà conduites lors du développement initial de la molécule. Par ailleurs, les investigations évitées étant non seulement longues mais aussi onéreuses, le repositionnement permet de réduire les coûts de développement.
Pour ces raisons, si cette stratégie a été plébiscitée pendant la crise sanitaire au regard de l’urgence de la situation, elle intéresse bien au-delà du Covid-19. Par exemple, un quart des médicaments en essais cliniques contre la maladie d’Alzheimer – dont les liens avec des pathologies cardiovasculaires ou métaboliques sont de plus en plus certains – sont des antidiabétiques, des hypocholestérolémiants des antihypertenseurs, etc. De même, la sclérose en plaques occasionne beaucoup de repositionnements. Un de ses traitements, le diméthylfumarate, était au départ destiné au psoriasis.
Comment sont identifiées les molécules candidates à un repositionnement ?
Pr P. D. : Historiquement, les repositionnements étaient basés sur la sérendipité. Un exemple célèbre est le sildénafil : pendant son développement initial pour des propriétés anti-angineuses, l’observation de certains effets indésirables a conduit à le repositionner dans la prise en charge des troubles de l’érection. Un autre cas marquant est celui du thalidomide. Utilisé dans les années 1960 contre les nausées des femmes enceintes avant d’être retiré du marché en raison d’effets tératogènes, il a finalement été repositionné en oncologie, l’étude de ces effets ayant permis d’identifier des propriétés anti-angiogéniques.
Mais, à l’heure actuelle, cette stratégie tend à être rationalisée d’abord par criblage de molécules conservées dans des chimiothèques, comme dans le Covid-19. En particulier, cette démarche a permis à l’Institut Pasteur de Lille d’identifier comme candidat traitement prometteur de l’infection à SARS-CoV-2 le clofoctol, vieux suppositoire anti-infectieux.
Une autre façon de faire consiste à étudier les effets indésirables des médicaments rapportés dans de vastes banques de données selon des approches de data mining (fouille de données) – rendues possibles par l’émergence de nouvelles technologies. J’ai participé à une étude qui, parmi les molécules qui présentaient les mêmes effets indésirables que les médicaments anti-Alzheimer, a trouvé un antidépresseur potentiellement efficace contre cette démence.
Enfin, une réflexion sur la structure des molécules ou la connaissance de marqueurs et voies de signalisation impliqués dans la genèse des maladies peuvent aussi guider des repositionnements. Ainsi, la découverte de gènes à l’origine à la fois de certains Alzheimer et de certains Parkinson permet d’envisager le repositionnement d’antiparkinsoniens dans la maladie d’Alzheimer.
La controverse sur l’hydroxychloroquine a montré que tous les projets de repositionnement n’aboutissent pas. Pourquoi ?
Pr P. D. : La difficulté est de pouvoir évaluer par des tests fiables l’efficacité de la molécule dans la nouvelle indication envisagée. Dans le Covid-19, alors que des activités antivirales ont été observées in vitro avec divers médicaments bien connus, dont l’hydroxychloroquine, cette efficacité n’a pas été retrouvée lors du passage à des modèles plus complexes, in cellulo ou in vivo.
Quelles sont les autres limites ?
Pr P. D. : D’abord, la faiblesse de la propriété intellectuelle peut décourager les laboratoires. En fait, les repositionnements sont souvent proposés pour de vieilles molécules tombées dans le domaine public, par d’autres entreprises que le fabricant initial. Ainsi, seuls des brevets d’application – et non des brevets d’invention – peuvent être déposés. Une parade consiste cependant à innover du point de vue de la galénique, à modifier la posologie, la formulation, etc.
Un autre risque est que l’annonce de résultats provoque une ruée vers les pharmacies, une utilisation non contrôlée de médicaments disponibles dans des indications encore non validées. C’est ce qui s’est passé avec l’hydroxychloroquine.
Finalement, le repositionnement, certes très prometteur et probablement encore sous-exploité, n’est pas suffisant : tous les traitements qui émergeront dans le futur ne seront pas issus du repositionnement, et le drug design a encore de beaux jours devant lui. À noter cependant l’existence d’une approche intermédiaire, qui consiste à observer la structure et les effets indésirables d’un médicament existant et à modifier ce principe actif de façon à amplifier ces effets afin de les rendre thérapeutiques dans d’autres indications : la SOSA (Selective Optimization of Side Activity). Cette démarche a par exemple permis de développer, à partir d’anti-hypertenseurs qui provoquaient des cauchemars, la famille des antidépresseurs inhibiteurs de la sérotonine. De même, c’est la modification d’un anti-histaminique H1 trop sédatif qui a permis d’obtenir un neuroleptique célèbre : la chlorpromazine, surnommée « camisole chimique ».
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