« Aucun oncologue thoracique ne souhaiterait pour lui-même les traitements qu’il prescrit à ses patients porteurs d’un cancer bronchique non à petite cellule (CBNPC). Ces tumeurs sont histologiquement hétérogènes. Il faut développer une recherche préclinique, des nouvelles molécules, des biothérapies et des biomarqueurs prédictifs », proposait un éditorial publié dans le Journal of Clinical Oncology en novembre 1987. Trente ans plus tard, la feuille de route a été en grande partie réalisée. La survie a été multipliée par trois dans les cinq dernières années grâce aux innovations thérapeutiques. Avec l’irruption de l’immunothérapie précédée de l’avènement des traitements ciblés, le pronostic du cancer du poumon, après celui du mélanome, a été modifié en profondeur. Le nombre de patients concernés, plus de 40 000 cas en France, illustre le changement en cours. D’autant que c’est toujours le cancer le plus meurtrier. Cette forte mortalité s’explique par un diagnostic tardif, porté 2 fois sur 3 alors que la maladie est localement avancée ou métastatique. Résultat, la survie à 12 mois est inférieure à 40 %. La complexité de la prise en charge est renforcée par la très grande hétérogénéité cellulaire. Ce qui se traduit par un nombre élevé de cancers avec des types histologiques différents.
Un organe complexe
« L’organe est très complexe », confirme le Pr Jacques Cadranel (hôpital tenon) au cours d’une matinale organisée par AstraZeneca. Comment alors améliorer ce pronostic ? Le dépistage par scanner thoracique à basse intensité a été suggéré aux Etats-Unis, mais récusé par la Haute Autorité de santé en France. La « rentabilité » de l’examen est loin d’être performante. Sur 100 images anormales, 2 à 3 seulement seront des cancers. L’idée d’associer l’imagerie à des dosages biologiques comme les cellules tumorales circulantes paraît également séduisante. Mais elle relève encore d’une démarche expérimentale. C’est pourtant le moyen de réduire le taux de faux positifs encore trop élevé. En attendant, un gain de temps repose sur la réduction de l’intervalle entre le diagnostic et la mise en œuvre du traitement. La séquence ne peut être envisagée sur une seule journée comme pour le cancer du sein, mais plutôt sur une période de 15 jours. Quelle que soit le niveau d’organisation encore très inégalitaire, le management du cancer du poumon a été bouleversé par la création des plateformes de génétique moléculaire des cancers. On distingue aujourd’hui différents types d’altération moléculaire de type amplification du gène. Des mutations ponctuelles sur un récepteur de membrane où la zone activatrice est toutefois conservée sont également recherchées. Enfin, des réarrangements de gènes font aussi l’objet d’une détection. Ces anomalies sont repérées en routine grâce à ces plateformes. Au-delà de la prouesse technique en permettant de prescrire le bon traitement au bon patient, ce type d’examen a un impact immédiat sur la survie. Exemple avec le réaménagement du gène ALK : « La survie peut atteindre dix ans grâce au traitement. En son absence, elle ne dépasserait pas quelques mois », précise le Pr Jacques Cadranel.
Nouvelle frontière en oncologie
Ces examens exigent encore une biopsie. Demain, une simple prise de sang sera suffisante. C’est la nouvelle frontière en cancérologie. Elle détectera soit de l’ADN tumoral circulant au milieu d’un ADN normal, soit des cellules tumorales circulantes. Le clinicien disposera d’une photographie globale de la tumeur à la fois sur le plan spatial et temporel en fonction du traitement. Cette stratégie n’est toutefois pas la panacée. Elle ne permet pas de repérer toutes les anomalies moléculaires. Elle pèche également par un manque de sensibilité en cas de petit volume.
En attendant ce grand bond en avant en matière diagnostique, l’innovation s’est d’abord traduite sur le plan thérapeutique avec au premier étage de la fusée, les traitements ciblés. Ils ont issus de deux approches scientifiques différentes, à savoir la biologie fondamentale et l’explosion de la technologie qui a autorisé le séquençage par exemple du génome entier entre deux à six semaines. Avec cette mise en orbite du sur-mesure depuis 2010, régulièrement on identifie des anomalies qui frappent très peu de malades (moins de 5 % des cas) avec parfois des traitements déjà disponibles. Au final, le nombre des patients habilités à bénéficier d’un traitement grimpe, même si certaines anomalies sont toujours orphelines de médicament.
Addiction oncologique
Mais après les premières années euphoriques, l’enthousiasme est retombé. Un médicament qui cible une voie de signalisation ne guérit pas à chaque fois. « Ces molécules ont été développées non pas à partir des cellules tumorales porteuses de l’anomalie moléculaire mais simplement qui exprimaient le récepteur », précise le Pr Jacques Cadranel. Mais cela ne suffit pas en pratique. D’où ce nouveau concept d’addiction oncogénique où l’on associé la thérapie ciblée à la bonne cible révélée par le biomarqueur. La prise en charge de la maladie devient dépendante de l’anomalie moléculaire. Première caractéristique de cette addiction oncogénique, une réponse est obtenue dans 60 % des cas. Elle est rapide et prolongée de l’ordre d’un an. L’ordre de prescription intervient dans le résultat. Si la thérapie ciblée est prescrite en première ligne, l’effet est alors plus prolongé ou de façon retardée. Conséquence, la chimiothérapie conventionnelle est reportée en troisième ou quatrième ligne. Autre tendance, on ne traite plus une anomalie moléculaire mais deux ou trois. Dans tous les cas se produit un phénomène de résistance. Pour autant, si l’on prend l’exemple de la résistance développée au crizotinib, des molécules de seconde et troisième génération sont déjà en cours de développement. Enfin, leur impossibilité de franchir la barrière hémato-encéphalique est un autre obstacle à la survie.
L’immunologie est le second étage de la fusée. Elle est encore administrée en seconde ligne de traitement et ne bénéficie pas dans la grande majorité des cas de biomarqueurs. Mais à la différence d’autre molécules l’efficacité est évaluée sur la survie globale et non pas sur la survie sans progression. Ici la molécule ne tue pas la cellule cancéreuse mais agit sur un mode indirect. L’immunothérapie restaure l’immunité perdue. S’observe un effet post-traitement différent des médicaments conventionnels. Certes, 20 % environ des patients répondent à ce type de traitement. Mais son action ici se prolonge dans le temps. C’est une autre manière d’évaluation Reste à découvrir non pas un marqueur mais une association de biomarqueurs prédictifs de la réponse à l’immunothérapie. Aujourd’hui le nivolumab dispose d’une AMM et d’un prix en seconde ligne dans le cancer bronchique non à petite cellule. La combinaison de plusieurs traitements en immunothérapie constituera peut-être la prochaine étape. Des résultats devraient être dévoilés dans les prochains mois.
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