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Dossier

Présidentielle

2017-2022 : si les "docteurs" avaient la parole

Par Camille Roux - Publié le 14/04/2017
2017-2022 : si les "docteurs" avaient la parole

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GARO/PHANIE

Neuf jours nous séparent désormais du premier tour de l'élection présidentielle. Au-delà des programmes politiques, Le Généraliste a donné la parole à ses lecteurs sur son site Internet pour savoir quelle serait la première mesure que, vous, médecin généraliste, mettriez en place si vous étiez élu Président. Plus d’une centaine de confrères y sont allés de leurs suggestions. Réponses dans ce dossier...

Supprimer les dépassements d’honoraires, augmenter le numerus clausus, développer la prévention… La campagne présidentielle a, de manière inattendue, offert une place de choix aux débats sur la santé. C'est une première puisque, lors des éditions précédentes, on ne peut pas dire que la cause des médecins et des patients français ait autant suscité l’engouement. Preuve peut-être que le système est en péril et que tout le monde est d’accord sur la nécessité de le réformer. Chacun avec sa recette.

Mais qu’en pensent réellement les médecins sur le terrain et quelles sont les pistes d’amélioration qu'ils proposent ? Grâce au débat ouvert sur le generaliste.fr, vous avez été près d’une centaine à déposer la ou les propositions qui vous semblent les plus pertinentes pour améliorer le système de santé français. Certains ont évoqué l’attractivité du métier qui doit trouver un nouvel élan, d’autres l’accès aux soins qui devra être amélioré lors du prochain quinquennat. Sans oublier l’indispensable réforme des études médicales. Vous avez été également nombreux à soumettre vos propositions sur d’autres thèmes que la santé.

À une semaine du premier tour, il ressort de ce forum une multitude de solutions et de projets. Preuve que les médecins généralistes sont très concernés par l’avenir. Encore faudra-t-il que le futur occupant de l'Élysée prenne en considération leurs demandes…

Lire : la bourse aux idées des lecteurs du Généraliste

 

Aligner le montant de la consultation à la moyenne européenne

Dr Michel Pinson, Montargis (45)


Sa solution pour combler les déserts médicaux ? Attirer les jeunes avec une rémunération plus attractive. « Il faut remotiver les jeunes vers le libéral, explique le Dr Michel Pinson. Alignons la consultation à la moyenne européenne, qui est de 40 euros. Ou, au moins, 35 euros, comme le propose Nicolas Dupont-Aignant. » Quitte à trouver ailleurs le moyen de le financer. La distinction petit risque/gros risque de François Fillon, très polémique, l’ancien généraliste ne trouve pas ça aberrant. « Un rhume ne me semble pas nécessiter forcément une prise en charge », ajoute-t-il. Sur la formation, là aussi, il y a du travail, selon lui. « Augmenter le numerus clausus ne servira pas à grand-chose, prédit-il. Il faut plutôt montrer aux jeunes que la médecine générale est enthousiasmante. Personnellement, j’ai toujours été passionné, du début à la fin, par mon métier, même si à la fin de ma carrière les tâches administratives ont augmenté. »

Booster le C et le V La revalorisation des honoraires est un sujet qui revient très souvent dans vos commentaires. Le Dr Eve L. de Pont-Audemer (Eure) est toutefois un tout petit peu moins gourmande. « Revalorisation du C à 30 euros et du V à 50 euros », propose-t-elle. Le Dr Patrice P., généraliste à Chênehutte (Maine-et-Loire), renchérit avec la volonté d’une rémunération différenciée en fonction du lieu d’exercice. « Le C à 60 euros et le V à 100 euros dans les déserts médicaux. Il est normal de payer mieux ceux qui ont des conditions d’exercice plus difficiles. » Enfin, le Dr Mireille B. rêverait d’une consultation entre 50 et 75 euros, mais beaucoup plus pour les visites, qui ne doivent être effectuées que si elles sont « justifiées », « à 150 ou 200 euros », propose-t-elle.
 

Alléger l’administratif dans les MSP et créer un ticket modérateur aux urgences

Dr Bruno Lascol, Villé (88)
 

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C’est un système très désorganisé et lourd administrativement que dénonce le Dr Bruno Lascol. Multiplier les MSP pour favoriser l’exercice, c’est ce que proposent tous les candidats à la présidentielle. Mais, pour le généraliste de Villé (Vosges), il faut alléger le volet administratif qui s’abat sur les professionnels de santé qui veulent monter une telle structure : « Le cahier des charges pour monter une MSP est tel que si vous voulez monter un projet et avoir des subventions de l’ARS, il faudrait un médecin qui se dévoue et qui quitte la médecine pour faire de l’administratif. Or, aujourd’hui, on manque de temps médical. » Il y a 5 ans, Bruno Lascol a monté sa propre structure. « Je me suis associé à un laboratoire d’analyses médicales, à des dentistes sans aucune aide de l’ARS car elle me demandait trop de trucs administratifs. »

Délocaliser les DAM Le Dr Lascol ajoute : « Pourquoi ne pas délocaliser tous les fonctionnaires et DAM de la Sécu pour s’occuper de nos tâches administratives du tiers-payant, des ALD, des ROSP et autres plaisanteries », soumet-il.
Pour lutter contre les déserts médicaux, il faut, selon lui, redonner une vraie place au médecin libéral dans les soins de premier recours. Pour cela, il pense à la mise en place d’un ticket modérateur aux urgences, applicable aux consultations hospitalières qui auraient plutôt nécessité un rendez-vous chez le généraliste.

 

Supprimer l’Ordre des médecins


Dr Bernard Coadou, Bordeaux (33)

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Supprimer l’Ordre. Voici la première mesure que prendrait le Dr Coadou s’il était élu Président. Une idée pas si nouvelle. François Mitterrand en avait fait l’une de ses 101 propositions en 1981. Jean-Luc Mélenchon est le seul à l’avoir remise sur le tapis en mars, annonçant au micro de BFM TV vouloir « abolir » cette « organisation pétainiste ». Le Dr Bernard Coadou juge lui aussi le maintien de l’Ordre « incompatible avec les valeurs républicaines ».

Insoumission Il a d’ailleurs lancé, fin 2016, par le biais du Mouvement d’insoumission aux ordres professionnels (MIOP) qu’il préside, et avec 333 autres professionnels de santé, un « appel pour la liberté associative », « contre la philosophie des 0rdres et le regroupement obligatoire », explique le médecin retraité de Bordeaux. « J’ai toujours rencontré l’Ordre comme un obstacle à franchir dans la pratique quotidienne, plutôt qu’une aide, analyse, tenace, le généraliste retraité. Nous allons interroger les candidats sur ce sujet »

 

Multiplier les CHU dans les villes moyennes

Dr François R., Lyon (69)


Réformer les études médicales pour lutter contre les déserts médicaux : pour nombre de praticiens, cette solution est devenue incontournable. Mais le Dr François R. va plus loin. Ce généraliste lyonnais estime qu’il faut redonner de l’attractivité aux territoires touchés, notamment en créant 30 % de facultés supplémentaires « en priorité dans les villes de bassins de plus de 70 000 habitants qui n’en disposent pas. Il faut de nouvelles facs, parce qu’il nous faut 3 000 étudiants de plus par année », ajoute-t-il, soit 30 000 au total au terme d’un plan de dix ans.

Des cours en vidéo Solution intermédiaire : « Il faudrait au minimum déclarer leurs hôpitaux CHU et organiser les cours via Internet avec les vieilles facultés. » Pour assurer les cours, le généraliste pense aux nouvelles technologies. Les professeurs feraient leurs cours depuis les grandes villes en vidéo. Cela permettrait selon lui d’éviter l’actuel « encombrement des amphis ».
Ce confrère n’est visiblement pas tout seul à faire ce genre de préconisation : plusieurs élus et médecins de la Nièvre ont manifesté à la fin mars devant l’université de Bourgogne, à Dijon, pour réclamer l’ouverture d’une PACES à Nevers.
 

Revenir sur les lois santé de ces dernières années

Dr Paul Robel, Sarzeau (56)

 

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Abroger la loi Touraine et la loi Bachelot. Telle est la mesure radicale proposée par le Breton Paul Robel. Il dénonce des institutions (GHT, hôpitaux) « au bord de la crise de nerfs », tout comme les chez les libéraux. « On a replâtré, mis des bouts de ficelle mais rien bâti de sérieux », ajoute-t-il.
Le Morbihanais dénonce le pouvoir renforcé des ARS, et le système actuel qui ne peut, selon lui, continuer ainsi : « à la base, notre système est excellent, mais plus on dit qu’il est bon, plus on essaie de le mettre en pièces », analyse-t-il. Sa recette miracle ? « Il faut revenir aux fondements de la Sécu telle qu’elle a été créée. Redonnez les dizaines de milliards d’euros d’exonérations de charges sociales détournées des recettes de la Sécu, et il n’y a plus de déficit. »

Assainir la Sécu « La santé n’est pas une charge mais une richesse », conclut Paul Robel. Sur ce sujet, il est rejoint par le Dr Félix G. généraliste à L’Île-Rousse, qui demande « un retour sur les lois touchant à la santé depuis 1995. Il ajoute : il faut abandonner les génériques et la privatisation pour refonder et assainir la Sécu. »

 

Créer des coopératives territoriales de santé

Dr Francis Cazeils, Villeneuve-sur-Lot (47)

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« Je vais bientôt partir à la retraite. Ce que je propose est donc un peu le fruit de la réflexion de toute une vie de travail. Je vois le système évoluer en essayant d’apporter des solutions. » Le Dr Cazeils prône en effet une médecine de proximité et prévoit de monter très bientôt à Villeneuve-sur-Lot une « SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) territoriale de santé ». « C’est un peu innovant, ajoute-t-il. Cela va tout à fait dans le sens de l’Ordre qui, dans son dernier livret, pointe de nombreux problèmes et conclut que c’est aux médecins de s’organiser sur les territoires ». Actuellement, une douzaine de médecins de la région sont rassemblés au sein de l’association VCTB « Villeneuve coopération pour un travail sur le bien-vivre ». Il espère pouvoir transformer la structure en SCIC dans les mois à venir. Une société qui serait un mix entre un centre de santé avec des médecins salariés et une structure permettant une coordination de l’ensemble des soignants et des patients sur le territoire, dans le droit fil de la dynamique de la loi santé.

Rapprocher soignants et soignés Les axes de travail tourneraient autour du recrutement de soignants et le développement de leurs relations sur le territoire, l’accompagnement des patients autour de l’éducation thérapeutique et du bien-être, l’accompagnement des soignants au travers de rencontres et de la mutualisation de moyens logistiques et enfin la création d’un réseau baptisé « Synapse » pour faire de la prévention et des actions en faveur du respect de l’environnement. Le but n’est pas forcément de salarier tous les médecins de la SCIC - trois emplois salariés sont prévus initialement - car des libéraux préférant exercer seuls pourront librement choisir de conserver leur mode d’exercice. « Il s’agit aussi de faire que les soignants se connaissent mieux. On soignera ainsi mieux la population. Rapprocher les soignants et les soignés est indispensable », analyse le généraliste, qui travaille actuellement sur le financement des 400 000 euros nécessaires à la création de cette SCIC.
 

Créer un réseau national de centres de santé

Dr Alain Frobert, Hérault

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Il y a un mois, un gériatre remplaçant de l’Hérault et ancien libéral lançait une pétition qui allait faire du bruit. Son but : créer un réseau national de centres de santé qui assurerait des missions de service public. Une idée qui rappelle un peu ces dispensaires de la Sécu qu’Arnaud Montebourg se faisait fort de multiplier lors de la primaire de gauche, et ces 10 000 médecins fonctionnaires que préconise toujours Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise). Le Dr Alain Frobert a aujourd’hui recueilli près de 50 000 signatures avec sa pétition. Cette idée ne date pas d’hier chez l’ancien généraliste libéral de 63 ans, qui avait fait des centres de santé le sujet de sa thèse.

Développer les actions de prévention Désireux de monter son propre centre de santé dans les années 90, il est freiné, dit-il, par l’hostilité des libéraux et s’installe finalement pour des raisons familiales en libéral, près de Montpellier. Sans pour autant mettre de côté son objectif de développer des actions de prévention. « J’ai organisé plusieurs séances d’éducation sanitaire dans des quartiers défavorisés, se rappelle-t-il. Et c’est d’ailleurs toujours avec cette démarche préventive en tête que je fais cette proposition. » Le Dr Frobert est en effet convaincu qu’il faut sortir de la rémunération à l’acte : « On les multiplie et on va droit dans le mur », constate-t-il. Le regroupement en centres de santé permettrait, selon lui, de faciliter le développement de missions de prévention autour de plusieurs praticiens. Ce pétitionnaire voit aussi dans ce projet la possibilité pour les médecins du centre de santé de travailler dans plusieurs endroits. « Des passerelles seront possibles pour les personnels, et un système de lien informatique du dossier médical se fera entre ces structures, précise-t-il. La liberté d’exercice n’a jamais voulu signifier qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul type d’exercice, la médecine libérale payée à l’acte. » Voici la réponse qu’il adresse notamment à l’Ordre des médecins, qu’il accuse de défendre cette dernière idée.
Reste la question du financement des 4 000 centres de santé nécessaires, selon lui, pour répondre à la demande. « Il faut y réfléchir, on ne peut pas les assumer comme ça du jour au lendemain. Pourquoi ne pas demander à la Sécurité sociale ou aux mutuelles de participer à ces projets », dit-il. Si le gériatre a recueilli beaucoup de soutien de la part du grand public et de quelques professionnels de santé, sur notre site, sa proposition n’a pas fait l’unanimité. Le Dr Anne-Claire M., généraliste à Argenteuil (Val-d’Oise), épinglant ainsi dans sa proposition son « acrimonie contre l’exercice libéral et l’Ordre ».

Camille Roux